Ch 45 : Rêves de Terreur (partie 4)

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Au bout de plusieurs siècles, le mur de pierre s'était changé en une île de montagnes et forêts verdoyants, de lacs et de rivières d'émeraudes, recouvertes de fleurs et de senteurs. L'île arborait mille facettes différentes - des plages de sable blancs tropicaux, des jungles de forêts primordiales, d'innombrables vallées parcourus de veines aquatiques se mêlant aux coulées de lave et creusaient des gorges profondes à travers des terres de mille couleurs jusqu'à irriguer des champs et des chaînes de montagnes enneigés...

Elle recelait des étendues de paysages magnifiques, dignes d'inspirer les plus beaux poèmes et les légendes les plus folles. Or, l'île était en évolution constante à cause du couple. La surface était constamment remodelée, car le couple s'affrontait depuis des millénaires jusqu'au moment où, finalement, l'un des deux adversaires obtint la victoire tant convoitée.

Sur le sommet d'une montagne qui exhalait les fragrances des fleurs mélangés au parfum des fruits, choisissant de se faire sienne et de se donner sans réserve quand elle fendit sur lui, l'homme écarta ses longs doigts fins et laissa tomber son épée de glace. Un effroyable bruit de succion et d'os traversé se fit entendre dans le mouvement.

Les sourcils de la femme firent un bond, surprise de voir sa lame traverser le lin blanc et le torse de l'homme.

« Mon autre... » marmonna-t-il en tombant.

« ..... !? » Aucun son ne put sortir de sa gorge.

Il avait écarté les bras et laissé sa lame pénétrer dans sa poitrine. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fait cela ?

Elle le prit dans ses bras instinctivement quand il s'effondra. Sa main n'avait pas lâché la poignée de son épée encore plantée. Le mâle jeta ses bras autour d'elle et l'enlaça avec tendresse. Ils tombèrent au sol et le monde s'écroula sous leurs pieds.

Elle resta immobile. Elle n'aurait pas bougé, même s'il lui plongeait un dard dans le coeur à cet instant.

La poitrine serrée, elle l'avait prise sur ses genoux et elle l'inondait de ses larmes. Son expression déployait un mélange de confusion, de choc et de remords.

Il sourit en la voyant ainsi et leva la main pour toucher ce visage qu'il avait tant contemplé. Il lui caressa la joue et lui sécha les larmes avec une tendresse infinie et avant qu'elle n'eut le temps de réagir ou de lui dire quelque chose, soudain, il explosa en un gigantesque nuage de couleurs innombrables.

Désemparée et frôlant l'hystérie, la femme hurla de toutes ses forces, reprit sa forme de dragon et fonça à toute vitesse dans le nuage de couleurs à la recherche d'une trace du mâle, ou de n'importe quelle partie de lui, qu'elle pouvait retrouver. Le nuage faisait une taille immense, si gigantesque qu'il lui fallu un siècle pour la parcourir d'un bout à l'autre.

La dragonne inspira et expira longuement. Il avait son odeur. Le nuage recelait des traces de lui et de sa présence absolument partout. Il était partout et nulle part à la fois ! Cela la rendait folle. Elle le sentait tout autour d'elle, le chercha, sans jamais pouvoir le trouver.

Elle le chercha pendant longtemps. Un siècle, un millénaire, un million d'années, nul ne saurait le dire, ni même la dragonne. Quand elle se rendit à l'évidence qu'il ne reviendra plus, elle sombra dans le désespoir, accablée par la tristesse et le désarroi.

Elle vécut à côté de la nébuleuse pendant une durée infini, passant son temps à attendre et à contempler ses couleurs, guettant à jamais quelqu'un qui ne reviendra pas. Vinrent se greffer à cette peine, la solitude, puis la nostalgie pour lui tenir compagnie et ajouter à son lot de mélancolie. C'était pire que la folie ou la torture.

L'Éternité d'Une SecondeWhere stories live. Discover now