Ch 52 : Sur le dos du tigre (1)

143 28 11
                                    

Après un repas pris dans le silence, Qian Jingliu voulut quitter la salle de banquet aussitôt repu et ne laissa pas le temps à Yuan Sunjie d'aller voir ses camarades pour leur expliquer sa situation.  À sept pas devant, Qian Jingliu marchait en arborant ardemment le calme d'un lac de glace tandis que Yuan Sunjie se concentrait à paraître décontracté en silence.  Ils avaient encore quelques heures de libre avant l'heure du coucher et le Bambou était curieux de voir comment le Tigre passait ses jours et ses nuits.

Yuan Sunjie et Qian Jingliu arpentèrent ensemble un couloir qui se trouvait à l'extérieur du premier tulou et se dirigèrent vers les bassins de nénuphars pour une balade nocturne.

La résidence du clan du Tigre Blanc était perdue au beau milieu d'un rideau d'eau appelé les Chutes Blanches, sur les rives du fleuve d'Eau Blanche dans le comté de Yelang.  Les Chutes Blanches étaient en fait un ensemble de sept groupes de chutes répartis sur une longueur de trente kilomètres.  La Tour d'Eau se trouvait sur le premier groupe de chutes qui comptait elle-même sept cascades.  Elle était constamment balayée d'un amas de buée et baignée par l'embrun constant des cascades, pourtant Yuan Sunjie et Qian Jingliu marchaient paisiblement au sec en admirant le paysage et le ciel.  Le lieu était vraiment magique, comme sorti d'un magnifique tableau à l'encre de chine. 

Parce qu'ils vivaient dans les brouillards presque permanents, les Tigres avaient la réputation d'avoir un œil de lynx qui leur permettait de voir à travers la brume, le brouillard et le noir.  Les simples habitants de la région préféraient quant à eux, établir leurs logements au pied de la montagne - le plus éloigné possible du tapis de brume blanche quasi-constante qui recouvrait la région.  De ce fait, les cultivateurs du Tigre Blanc étaient assez isolés, discrets et mystérieux aux yeux du monde.

Cela faisait déjà deux semaines que les disciples du Bambou de Jade étaient arrivés à la secte du Tigre Blanc. Yuan Sunjie avait passé le peu de son temps libre disponible à arpenter les innombrables ponts de lunes pour aller admirer les Chutes Blanches et les nombreux bassins de lotus et de nénuphars de la Tour d'Eau.  Ces fleurs avaient besoin d'un fort apport en soleil pour pouvoir fleurir et Yuan Sunjie se creusait la tête sur leur floraison dans un pareil lieu.

Au-dessus des nénuphars endormis, voulant briser la glace, Yuan Sunjie tenta :
« Je m'interroge sur ces fleurs depuis que je suis arrivé. Comment fleurissent-elles alors qu'il n'y a pas beaucoup de soleil ici ?
—  As-tu remarqué que le brouillard disparaît là où l'eau des cascades tombe ? » répondit Qian Jingliu, en levant la tête vers l'endroit en question.

Yuan Sunjie suivit son regard, sans s'apercevoir que la commissure des lèvres du Tigre s'était soulevée.

« Oui, on voit clairement l'eau tomber, dit-il.
—  La puissance des chutes est telle, poursuivit Qian Jingliu devant lui en tournant légèrement la tête en arrière, qu'elle fait vibrer l'air et empêche le brouillard de se former ou de s'installer à certains endroits.  Comme toutes les sectes de cultivateurs, la Tour d'Eau est protégée par une barrière.  Notre barrière capte l'air et la puissance de l'eau à ces endroits, ensuite elle reproduit cette puissance sur toute sa longueur et repousse ainsi le brouillard, hors de la résidence et des jardins. 
—  On ne voit pas la barrière puisqu'elle est invisible, mais j'imagine qu'elle protège aussi la Tour d'Eau de l'eau des Chutes ?  Nous aurions dû être complètement trempés en nous tenant si près de toutes ces cascades.  Vous vous prendriez des douches incessantes !
—  En effet, acquiesça Qian Jingliu à six pas devant lui.
—  Ça n'explique pas les fleurs...
—  C'est un procédé complexe à expliquer en un mot.  En gros, c'est aussi dû à la barrière qui nous entoure.  Elle arrive à capter quelques rayons de soleil et grâce à un effet miroir, elles les reflètent au-dessus de la Tour d'Eau.  Elle nous apporte notre luminosité et fait croire à ces fleurs qu'elles se trouvent sous un beau ciel ensoleillé.
—  C'est intéressant ! Notre barrière à nous au Mont Zhu... ? il fit une pause pour fredonner en cherchant sa mémoire.  Je me demande bien à quoi elle sert, je ne l'ai jamais vu ! »

L'Éternité d'Une SecondeWhere stories live. Discover now