Chapitre 2: Le Xiaoren

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En fin de compte, Yuan Sunjie pensa que l'abbé avait voulu se débarrasser de lui auprès d'un vagabond pour ne pas l'envoyer à la secte Bambou de Jade, ni le garder au monastère. Une pensée le tétanisa, comme la foudre qui déchire le ciel.

"Et si je n'avais aucune chance d'apprendre la cultivation ?"

Devenir cultivateur, c'était évidemment le rêve de nombreux garçons, mais tout aussi improbable qu'un chat aveugle trouvant une souris morte. Pouvoir être cultivateur, c'était comme d'avoir la clé du succès pour devenir un héros capable d'appeler le vent et de convoquer la pluie, de déplacer une montagne et de combler la mer, de devenir célèbre et admiré de tous - un symbole de rang égal à l'excellence.

Évidemment, des ribambelles d'enfants en rêvaient et pratiquement tous les futurs parents priaient que leurs rejetons puissent naître avec ce doigt d'or. Un cultivateur était capable de commander aux esprits, d'émettre de puissantes techniques d'arts martiaux pouvant prendre forme physique ou de faire plier les lois de la physique selon sa volonté. Les experts pouvaient vaincre le plus terrifiant des démons, tel que le maléfique Patriarche des Enfers.

Naître avec une racine spirituelle* toutefois, la clé de voûte qui fait la différence entre une personne capable de cultivation ou non, était en soi, un évènement rare. Mais également parmi ceux qui en étaient bénis, la réalité de la difficulté était si immense qu'elle poussait les gens à abandonner leurs rêves au fond de leurs coeurs. Pour la plupart, ce rêve ne restera à jamais rien d'autre qu'une illusion.

À l'ombre d'un arbre, Shi Chang scrutait le plat qu'avait préparé Yuan Sunjie avec réticence, car sa cuisine avait l'air peu ragoûtante. Rien n'allait : ni l'aspect visuel, ni l'odeur, et il n'était vraiment pas sûr de vouloir en vérifier le goût.

Shi Chang soupira en pensant, ''Il a grandi dans un monastère. Soit il a été habitué à tourner des marmites de riz pour dix mille moines, soit il ne s'est même jamais approché d'une cuisine. Les moines vivent du don des autres après tout.''

En vrai, une fois Yuan Sunjie avait goûté aux offrandes d'une vieille femme venue prier au monastère et de sa vie, jamais il n'avait mangé de plats aussi délicieux. Il partit voir le moine supérieur responsable des cuisines et lui demanda avec véhémence de préparer ce genre de menu chaque jour. Assurément, il s'était pris une correction par le moine offensé et fut interdit à jamais de remettre les pieds aux cuisines. Alors pour lui, tout ce qui se rapprochait à faire cuire de la nourriture, c'était : de l'eau, du feu et quelque chose dedans.

Le maître demanda à son disciple en posant son bol par terre :
« Yuan Sunjie, qu'est-ce que fait un cultivateur selon toi ? »

Yuan Sunjie se redressa promptement et s'empressa de répondre. Son enthousiasme débordait clairement, heureux que son maître aborde enfin le sujet de la cultivation. Un grand sourire se dessina, illuminant son visage.

« Un cultivateur est capable d'apprivoiser les esprits et de tuer des monstres Mo ! Il peut se battre contre des démons ou des centaines d'hommes ! Les cultivateurs sont plus forts que n'importe qui ! Ils sont capables de protéger le monde ! S'ils pratiquent correctement et avec assiduité, ils peuvent devenir des Immortels ! »

Shi Chang secoua légèrement la tête en signe d'acquiescement et se pencha pour attraper le bol.

« Bien, tu connais au moins la base. Si tu souhaites emprunter la voie de la cultivation et désires devenir un immortel, commence par être un bon mortel. »

Shi Chang regarda le contenant qui avait arrêté de fumer. Yuan Sunjie lui-même n'avait pris qu'une bouchée de son plat et semblait avoir des sueurs froides dès que Shi Chang souleva son bol. Plus le vieillard l'observait, plus les traits du garçon avaient l'air de dire : 'Fuis ! N'y touche pas !'

Shi Chang reposa le bol dans l'herbe. Yuan Sunjie soupira et fit comme si de rien n'était. Il avait l'expression de soulagement coupable de celui qui avait réussi à éviter une catastrophe de justesse.

Sans avoir besoin de regarder de très près, Shi Chang pouvait dire que Yuan Sunjie était une jeune pousse bénie d'une beauté rare et rayonnante. Shi Chang observa le visage du garçon et découvrit que le jeune moine avait des taches de rousseur se noyant presque dans la couleur de sa peau choyée par un léger hâle de pêche. Le petit moine n'avait pas l'allure des jeunes maîtres de son âge pour qui une peau blanche de porcelaine était un signe de beauté élémentaire. Lui, il aimait le soleil et la chaleur, cela se voyait.

''Une personnalité chaleureuse et espiègle, n'est-ce pas ? Il doit aimer attirer les gens vers lui."

Ses traits portaient toujours l'innocence de la curiosité de l'enfant qu'il était encore ; un visage assez charmant et plutôt harmonieux, et des yeux qui faisaient penser au reflet de la robe d'automne dans l'eau d'une rivière. En grandissant, il aura la chance de s'épanouir avec les traits d'un bel homme, voire pourquoi pas, au-dessus de la moyenne.

Shi Chang soupira et déclara sur un ton professoral :
« Un cultivateur est responsable de protéger le monde des mortels et le monde des esprits. Voilà ce qu'il fait. »

Il leva sa gourde et se récompensa d'une gorgée de vin, puis reprit son discours en recoiffant ses longs sourcils :
« C'est pour cela qu'il a la capacité d'avoir de tels pouvoirs. Ceux qui utilisent leurs potentiels pour leurs propres intérêts ou dans l'unique but d'atteindre l'immortalité sans se soucier des mortels, valent moins que des ordures ! Rappelle-toi de cela et fais-en ton dogme.
— Oui Shifu » opina Yuan Sunjie du chef.

Ils attendirent que la chaleur étouffante du soleil diminuât avant de reprendre leur trajet. Shi Chang ferma les yeux pour une sieste, en proie à la somnolence due à l'alcool.

Yuan Sunjie profita du soleil et de la chaleur de l'été, adossé contre le tronc de l'arbre, un sourire heureux aux lèvres. Les touffes d'herbes brûlées et desséchées à perte de vue lui firent l'effet d'une chaleur plus ardente qu'elle ne l'était en réalité, mais cela ne le dérangeait aucunement.

Shi Chang avait vu juste. Il aimait la chaleur et le soleil, même s'il était habitué à la haute altitude et l'air marin frais qu'il avait toujours connu au Mont Zhu. Yuan Sunjie ferma les yeux, bercé par les bras chaleureux de l'été et le tintamarre des insectes secouant leurs ailes pour se rafraîchir à l'ombre.

Peu de temps après, ils reprirent leur route. Le soleil s'était couché depuis longtemps et la lune était déjà haute dans le ciel quand ils arrivèrent dans la région de Kuaiji. Yuan Sunjie était exténué et à bout de souffle, croulant sous le poids des sacs qu'il portait depuis leur départ du monastère.

Il ne comprenait pas pourquoi, mais depuis leur pause-déjeuner, à chaque fois qu'il faisait dix pas, le poids de ses bagages semblait s'alourdir. Au début, il ne remarqua pas la différence dans le changement progressif du poids, cependant au bout d'un li*, il réalisa qu'il y avait anguille sous roche. Au départ, les affaires devaient peser quarante livres tout au plus, pourtant après plusieurs heures, elles avaient presque triplé de poids !

Le dos et les bras de Yuan Sunjie le faisaient souffrir énormément. Ses vêtements, trempés de sueur, lui collaient telle une seconde peau.

''Si seulement nous avions un cheval, ou même une bourrique, une vieille chèvre, un chameau, un chien ! Je n'en peux plus ! Et le vieux évidemment, il ne va pas lever un seul petit doigt pour porter un sac ! Il le fait exprès ! ''

Il avait questionné son maître immédiatement avec une pointe d'accusation dans la voix, mais eut droit à un simple « Tss» entre les dents.

Les blagues foireuses, Yuan Sunjie en connaissait un rayon. Il se doutait bien que ce fût un sale tour de son nouveau maître et se fit une note mentale que Shi Chang ne devait pas avoir un caractère docile.

Ainsi, Yuan Sunjie endura sa charge et ils marchèrent jusqu'à tard dans la nuit.

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Notes et Références

* Racine spirituelle: Associé au talent inné et aux affinités élémentaires d'une personne pour déterminer si elle a le talent nécessaire pour cultiver
* li : unité de mesure, environ 500 m

L'Éternité d'Une SecondeWhere stories live. Discover now