Chapitre 36 : Tâche de ne pas t'enfuir

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Les couleurs étaient atténuées. Il y avait comme un chant lointain, empli de mélancolie, qui résonnait étouffé à ses oreilles. Se laisser submerger par ça, par le décor décoloré, les images floues, les sons assourdis, par la sensation du vent soufflant à contre-courant sur son visage, par la vue de cette brume face à lui ; ce serait facile. Abdiquer. Faire demi-tour et fuir le plus loin possible. Ça paraissait être quelque chose d'agréable. Cesser de combattre, de répondre présent lorsqu'on essayait désespérément de le faire chuter.

Celui qui se tenait à ses côtés et pour qui ses pensées devaient être transparentes, lui fit la proposition. Bien qu'il sache quelle serait sa réponse, il le lui demanda tout de même.

— On pourrait partir. On ira où tu voudras, à l'autre bout du monde si tu en as envie.

Un sourire sincère, aussi mélancolique que cette mélodie chantée quelque part au-delà de la barrière brumeuse, apparut sur son visage et le lion posa ses yeux sur le serpent pour lui souffler.

§ C'est tentant. Un jour peut-être. Pas aujourd'hui, je ne suis pas un lâche. §

Les yeux de son vis-à-vis s'enflammèrent tout à coup et il lui répondit dans le même langage.

§ Je n'ai jamais pensé cela de toi. Tu ne le seras jamais. Je suis résigné à cette idée, ton inconscience m'a contaminé. §

Le sourire d'Harry se fit plus large, proche du rire.

— Tu n'es pas inconscient, tu as un plan. Même s'il est imparfait parce que j'en fais partie, ça ne change rien.

Les plans l'incluant étaient voués à l'échec. Il était incapable de s'y tenir, de s'y conformer, rien ne se passait comme prévu lorsqu'il était impliqué. C'était aussi simple que ça.

Tom Jedusor se redressa de toute sa hauteur, laissant vide la place où il était assis. Il passa devant le Survivant, le dos tourné, le regard plongé dans la brume qui s'étendait devant eux. Puis il pivota dans sa direction et il lui adressa un autre regard indéchiffrable. Brûlant, vivant, presque dérangeant. Avant de tendre une main en avant, à son intention, en déclarant.

— C'est ce qui fait de moi un inconscient. Tenter de planifier notre avenir. Laisse-moi essayer quand même.

Harry savait qu'il y avait, derrière ces quelques mots, plus qu'un encouragement. Plus que de la détermination pour leur victoire à la première tâche du Tournoi. Plus que quelques jours dans le mot avenir. Jedusor sous-entendait un futur plus long, plus profond. Plus définitif. Dans lequel ils se tenaient côte à côte.

Il le savait et les sous-entendus de Tom l'effrayaient, il aurait voulu lui dire de ne pas se projeter. Que pour lui le futur se résumait à quelque chose de flou et de confus où il espérait au moins être en vie.

Il n'en fit rien. Peut-être parce que le fait que Tom puisse voir au-delà de la brume qui imprégnait l'idée qu'il se faisait d'un lendemain le rassurait. Peut-être parce qu'il avait besoin de se raccrocher à la possibilité qu'il n'avait rien de mal à espérer vivre longtemps.

Harry Potter l'ignorait. Il ne comprit pas pourquoi mais il se souleva, attrapa la main qu'on lui tendait et s'engouffra dans la brume. Le cœur battant, il fut d'abord aveuglé par ce néant tout blanc puis comme un mirage, le village de Goldenkey se dévoila à lui. À eux.

Alors les couleurs atténuées devinrent éblouissantes. Le chant assourdit hurla à ses oreilles, le vent se retourna contre lui et le monde parut se teinter d'une intensité aussi réconfortante qu'insupportable. Il eut l'impression de se dissoudre dans ce berceau de sensations et il sentit sa magie s'agiter avec violence. Comme pour se mêler à l'agitation ambiante, le désordre la faisait rugir. Le chaos lui faisait plaisir.

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