Chapitre 39 : Le chevalier sans couleur

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La souffrance. Evan Diggory était persuadé de la connaître plus que n'importe quoi d'autre. La douleur. La sensation de sentir tout son corps trembler de rage, de peur, de peine, d'impuissance. C'était sa constance, vivre dans la douleur lui était si habituel qu'Evan tendait à l'oublier. Elle et tout ce qu'elle impliquait. On oublie à quel point on a mal lorsqu'on vit trop longtemps agrippé à elle. Elle transformait n'importe quel corps, n'importe quel esprit, elle le modelait, lui retirait ses rêves, ses espoirs, son âme.

Pour le détruire et faire d'Evan un être à son image, haletant, désespéré, privé d'avenir et pourtant incapable de céder, de mourir. De laisser la place à un autre.

Le champion de Durmstrang sentit son corps se secouer dans une convulsion violente et il se tourna sur le côté, le visage dans la boue pour vomir un mélange de sang et de salive qui lui donna un nouveau haut-le-cœur.

Il n'y avait rien de beau à mourir. Peu importe de quelle manière vous le faites, vous allez juste disparaître. Il ne restera que des cendres fumantes de votre vie, aussi flamboyante fut-elle.

Comme son frère. Maudit soit Cedric, l'enfant parfait, le héros, le modèle, l'aîné, le douloureusement mort frère qu'il n'avait jamais connu que par le prisme des paroles de leur père.

C'était peut-être la seule chose qu'ils avaient en commun. Un même père. Un père fier, puis désespéré, un père obnubilé par la réussite de son premier enfant puis détruit par sa mort, un père dévoré par le deuil, se laissant aller à une vie déséquilibrée en harcelant sans cesse son unique fils restant.

Lui reprochant de ne pas égaler le premier, le traînant dans une école où il ne voulait pas aller, réduisant ses espoirs et ses rêves à néant. Lui donnant une éducation si stricte, si exempte d'amour et d'attention que l'enfant en question ne put que grandir en haïssant profondément ce frère aîné dont il ne partageait seulement la moitié du sang et aucun véritable souvenir. Ce sang boueux et sale qui l'aveuglait désormais.

Evan n'était pas un héros, il n'était pas et ne serait jamais Cedric Diggory. Et c'est pour cette raison qu'il rattacha les dernières bribes de sa conscience à son corps et qu'il se releva. Le visage barbouillé de sang, il fit quelques pas en avant. Il n'était pas Cedric. Il n'allait pas mourir comme lui. Ce n'était ni un martyr ni quelqu'un de bon. Alors il ne mourrait pas par défaut sans pouvoir choisir le moment, il mourrait par volonté. Parce que c'était son choix.

Evan n'était rien d'autre qu'un gamin dévoré par la jalousie, la volonté d'obtenir ne serait-ce qu'une once de reconnaissance de son seul et unique père pour pouvoir ensuite lui recracher à la figure la haine qu'il entretenait à son égard.

« J'ai gagné ce pour quoi ton si précieux fils est mort, je suis plus fort que lui. J'existe. JE NE SUIS PAS LA PÂLE COPIE D'UN MORT ! »

Désirer la reconnaissance de quelqu'un qu'on hait était une véritable plaie qui faisait prendre des décisions inconsidérées. Comme celle qui s'apprêtait à faire aujourd'hui.

Ce devait être cette souffrance, cette haine qui dévorait ses entrailles, cette fureur qui l'habitait à chaque instant, cette marque affreuse qui déformait l'apparence de son cœur - qui le fit avancer. Titubant, il ne prit pas la peine ni d'essuyer son visage ni de regarder ses plaies.

Blessé ? Il l'était en permanence, que ce soit physique ou non ne changeait rien, la douleur était la même. Il avait déjà tellement mal.

Lorsqu'il fut sûr qu'il tiendrait à peu près debout, il ricana devant le monstre qui lui faisait face et il s'entendit émettre les paroles suivantes.

— Alors... tu ne termines pas ton repas ? Ce n'est pas très poli.

Il savait que ce seraient certainement les dernières paroles qu'il prononçait et il s'en fichait. Evan n'avait plus foi en la vie depuis quelques années et la mort ne l'effrayait pas plus que de voir le jour se lever demain.

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