Chapitre 6 - Suicide ou assassinat ?

8 2 6
                                    

Honorine était une brave et forte femme, qui m'intimidait un peu par son autorité. J'avais toujours l'impression, face à elle, d'être un gamin fautif.

— Mme Honorine, ne vous moquez pas de moi, s'il vous plait. Pouvez-vous me rendre un service? Pourriez-vous me prêter quelques vêtements ? Je ne peux pas rester comme ça ! Ce n'est pas une tenue décente pour un policier !

Elle reprit enfin son sérieux et répondit :

— Ah ! Je vois, vous êtes allé vers le marécage et vous êtes tombé dedans ! Vous n'êtes pas le premier, vous savez, et c'est pour ça que nous n'y allons jamais. Je vais aller vous chercher des vêtements de M. André, vous semblez avoir la même taille. Laissez vos affaires sales dehors, sur le pas de la porte, je ne veux pas les voir dans ma cuisine ! dit-elle avec autorité.

Je la remerciai et Honorine revint quelques minutes plus tard avec une grande serviette de bain, un pull, un blazer, un caleçon, un pantalon, des chaussettes et une paire de chaussures. Par chance, elles correspondaient à ma taille. Etonnant d'ailleurs car la pointure 45 n'est pas monnaie courante.

— Vous allez d'abord vous enrouler dans la serviette car je ne veux pas que vous vous baladiez en caleçon dans le manoir, ça ferait plutôt mauvais genre. Puis je vais vous conduire dans la salle de bains où vous pourrez prendre une douche et vous changer.

Une douche bien chaude me fit du bien et me réchauffa. Je dus rester longtemps sous l'eau pour enlever toute la vase liquide qui s'était infiltrée sous mes vêtements et collait sur ma peau. Je m'en étais mis jusque dans les cheveux. Elle s'était même incrustée dans mes ongles de pieds et de mains. Enfin, une fois propre et habillé, je me sentis nettement mieux. J'avais repris figure humaine.

Je redescendis pour remercier la cuisinière qui me répondit :

— Ce n'est rien ! Vous n'êtes pas le seul à qui cela est arrivé, M. André et M. Pierre sont déjà tombés plusieurs fois dedans quand ils étaient gamins et à chaque fois, ils rentraient dans un drôle d'état ! A ce propos, j'ai emballé vos vêtements dans du papier journal, mais à mon avis, ils sont bons à jeter, étant donné la quantité de boue incrustée dessus et l'odeur de vase qu'ils dégagent !

Ah ! il faut absolument que je récupère aussi mon carnet et la fameuse clef, et aussi ma carte et mon arme.

A ma demande, Honorine me rendit ma carte de police, soigneusement rangée dans un tiroir. Elle me tendit aussi mon pistolet en le tenant du bout des doigts par le bout de la crosse avec un air dégoûté et versa sur la table les balles qu'elle avait cachées dans une boîte à biscuits. Je récupérai ensuite la clef et mon précieux carnet auprès de Bertier, qui en avait nettoyé la couverture.

Puis, ces choses réglées, j'entrai le plus discrètement possible dans le salon. Apparemment, tout le monde était au courant de mon infortune et en riait plus ou moins ouvertement, mais personne ne savait encore ce que j'avais découvert, et je me gardai bien d'en parler, sachant que mon supérieur allait s'en charger lui-même, le moment venu. Bertier appela discrètement la police scientifique en utilisant le téléphone situé dans le bureau.

Honteux de ma mésaventure et des moqueries à mon égard que j'entendais, je faisais profil bas, restant dans mon coin, quand André Malandain s'approcha gentiment de moi pour me demander comment j'allais. Il m'invita à boire un cognac pour me remettre de mes émotions. Je le remerciai chaleureusement pour le prêt des vêtements et lui promis de les lui rapporter le lendemain, ce que je fis.

André Malandain et moi, nous nous tenions tous les deux côte à côte pour discuter et je vis soudainement Bertier s'arrêter net à la porte de la grande salle, frappé de stupeur en me fixant. Etonné, je le regardai un instant et repris ma conversation avec André.

Je me demande bien ce qu'il a, à me regarder comme ça !

Sans m'en être rendu compte, j'étais vêtu comme le fils Malandain, dans le genre « chic anglais », avec un blazer, un col roulé et un pantalon ajusté. Il parait, car je ne m'étais pas regardé dans la glace, que cette tenue faisait ressortir mon type un peu britannique et j'avais ainsi l'air d'un fils de bonne famille.

Pendant ce temps, je discutais avec André et lui montrai la clef que j'avais trouvée, posée dans un mouchoir propre pour ne pas laisser mes empreintes dessus. Celui-ci la regarda attentivement et dit :

—Je ne l'ai jamais vue auparavant. On dirait la clef d'un tiroir de bureau. On va aller dans celui de mon père et voir si cela correspond à quelque chose.

Il m'amena dans la pièce et j'entrepris d'ouvrir les tiroirs du bureau, la clef toujours enveloppée dans le mouchoir. Elle n'entrait dans aucune serrure. Je demandai à André s'il y avait un autre bureau, ou un secrétaire.

— Pas que je sache répondit-il. Par contre, mon père a un petit coffre, mais il est fermé par une combinaison.

— Cela pourrait être une clef de secours pour ouvrir le coffre. Je peux essayer ?

André me mena au coffre, mais là, rien non plus, la clef ne correspondait pas à la serrure. Nous regardâmes tous deux dans la pièce et ne vîmes pas d'autres tiroirs à ouvrir.

Bon ! eh bien elle va être enregistrée sous scellés dans les pièces à conviction du dossier, si toutefois c'était une pièce à conviction. J'espère qu'un jour on trouvera à quoi elle sert !

— A propos, dis-je, puisque je suis là, cela ne vous ennuierait pas si je jetais un coup d'oeil dans les tiroirs ? Au cas où nous trouverions des indices importants concernant sa disparition ?

— Non, bien sûr, allez-y, dit André.

— Je regardai dans les tiroirs. Il y avait des factures à régler, quelques papiers et correspondances diverses, et une enveloppe à l'en-tête d'un hôpital. Je l'ouvris et la lus rapidement. Je compris alors qu'il s'agissait du résultat d'un examen, qui diagnostiquait une tumeur au pancréas.

Merde ! c'est sérieux ! il était peut-être condamné. Se serait-il suicidé en se jetant dans la seine avec une pierre attachée au pied ? faut avoir du cran pour faire cela ! Mais quand même, cela ne me paraît pas vraiment réaliste !

Profitant qu'André ne regardait pas dans ma direction, je ne la lui montrai pas et la fourrai discrètement dans ma poche. Je sais, c'est un peu, voire très "hors procédure", mais par ce biais, je gagnais du temps. Cela pourrait être un indice, on ne sait jamais.

— Votre père avait-il des problèmes de santé ? demandai-je.

— Non, pas que je sache, répondit André. A part ses maux d'estomac. D'ailleurs, notre médecin de famille lui avait trouvé une gastrite chronique. Toutefois, depuis quelques temps, ma mère avait remarqué que ses douleurs s'aggravaient et devenaient de plus en plus fréquentes.

Nous redescendîmes dans le salon.

L'équipe scientifique, appelée par Bertier, vint à l'endroit désigné, munie de lampes puissantes et récupéra le corps. Puis Bertier se fit un devoir de prévenir la famille qui fut en émoi. Je fus témoin de la scène et en fus sincèrement peiné. Ce fut un moment très poignant. Je ne savais que dire, et que dire dans ce cas-là ?

Puis, nous prîmes congé de la famille. 

— Tu avais raison, Gilbert, me dit Bertier, une fois que nous étions assis dans la 403. On l'a bien assassiné. Le légiste nous a dit qu'il avait reçu une balle dans la poitrine.

à suivre...

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now