Chapitre 38 - Souvenirs, souvenirs...

10 2 5
                                    

Pendant ce temps, afin de tromper l'attente, et aussi pour atténuer la tension qu'ils ressentaient, le commissaire, Bertier et mon épouse parlaient de moi et essayaient d'évoquer les souvenirs me concernant qui leur venaient à l'esprit.

Bien entendu, les conversations qui ont eu lieu dans le bureau du commissaire m'ont été rapportées par Sophie, Bertier et par le commissaire lui-même, ce qui m'a permis de les reconstituer dans mon récit.

Cela me fait tout drôle d'y penser, c'était presque comme si j'étais à l'article de la mort et qu'on faisait mon éloge, qui aurait pu être funèbre si cela s'était mal terminé. Ces anecdotes étant assez amusantes et, je dois l'avouer, véridiques. J'ai jugé donc utile de les rapporter, afin d'apporter une touche d'humour à mon récit.

— Vous rappelez-vous la première fois que Gilbert est arrivé à la PJ, en tant qu'inspecteur stagiaire ? demanda Bertier au commissaire.

—Non, je n'étais pas là ce jour-là.

— Eh bien, je n'oublierai jamais ça, dit Bertier. C'était en 1958. Nous étions dans la cour, et je discutais avec Albert, le planton de l'époque, et on a vu soudain arriver un grand gars casqué, avec un blouson de cuir noir, sur sa moto pétaradante. Il est arrivé si vite qu'il a failli heurter Albert, qui a sauté de côté pour l'éviter. Nous nous sommes regardés et je me rappelle ce qu'Albert a dit : "Dis-donc, Jacques, tu as vu ? Ils recrutent les stagiaires chez les blousons noirs maintenant ! Et dans le genre "danger public" en plus ! Grosse moto, gros blouson et petite tête sous le casque ! Ça promet ! ". Alors, le gars s'arrête, descend de sa moto, retire son casque, ses lunettes, et quand il s'est tourné vers nous, on a vu une sorte de grand gamin blondinet efflanqué, ébouriffé, avec des taches de rousseur sur ses joues, nous faire un grand sourire et nous dire, d'une voix suave : « Bonjour, je suis Gilbert Lenormand, le nouveau stagiaire ! » Nous étions sciés ! Il n'avait vraiment rien d'un dur ! En fait, nous étions immédiatement tombés sous son charme. Comme quoi l'habit ne fait pas le moine.

— Il ne faut jamais se fier à sa première impression, dit le commissaire. Et la fois où il s'est fait couper les cheveux à ras ? Vous vous souvenez, c'était trop drôle !

— Ah oui, celle-là, elle est bien bonne ! Je vais la raconter aussi, dit Bertier. Comme tout le monde le sait, Gilbert a une tignasse étonnante. Elle pousse avec une rapidité incroyable, mais il ne faisait jamais couper ses cheveux très court, ce qui fait qu'une mèche lui tombait tout le temps sur le front, voire presque devant les yeux et il passait son temps à la remonter avec sa main. D'ailleurs, c'est toujours le cas. C'était très énervant. Un jour, n'y tenant plus, le commissaire a pris un coup de sang et lui a dit : « Ici, on n'est pas chez les yéyés, on est chez les flics, alors si vous voulez chanter, prenez votre guitare et allez faire la manche au coin de la rue, ou sinon, faites-moi couper ces fichus cheveux ! »

— C'est vrai, cette longue mèche sur le front m'énervait, reprit Renouf, et c'est exactement ce que je lui ai dit. Alors, il n'a rien dit. Il est allé chez le coiffeur le soir même. Et le lendemain, quand je suis entré dans leur bureau, j'ai bien vu que tout le monde riait sous cape, mais je n'avais pas vu Gilbert car il venait de sortir. Quand il est revenu, j'ai eu un vrai choc : il avait la coupe militaire, bien dégagée derrière les oreilles, c'est-à-dire presque plus rien, et juste trois millimètres de cheveux au-dessus. Pratiquement la boule à zéro. Il était vraiment affreux, on aurait dit un garnement tondu échappé d'une maison de correction ou alors un bagnard évadé. Et c'est là que j'ai compris pourquoi il se laissait pousser les cheveux en épaisseur, pour cacher ses oreilles décollées et là on ne voyait qu'elles !

— Et je me souviens que vous avez dit, reprit Bertier : « Lenormand ! Vous êtes trop moche ! Je vous ordonne de faire repousser vos cheveux ! ». Ce qui a déclenché un fou rire général dans le bureau.

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now