Chapitre 10 - Crue ou pas crue ?

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J'avais bien cru voir le commissaire sursauter légèrement au cours de cet entretien, et je me demandais si je n'étais pas victime de mon imagination. Puis, mine de rien, il poursuivit la conversation.

— Et votre père, vous n'avez jamais connu son identité ?

— Non, c'était un sujet tabou à la maison. Quand je suis devenu adolescent, j'ai interrogé ma mère sans relâche et elle n'a jamais voulu me le dire. J'ai alors imaginé qu'il pouvait être un personnage important et qu'elle ne voulait pas lui faire du tort. Puis, elle a emporté ce secret dans sa tombe.

— Et vos grands parents. Ils sont toujours en vie ?

L'évocation de mes grand parents me fit monter les larmes aux yeux. Je me rappelai comme j'avais été injuste avec eux après la mort de ma mère. Je crois qu'ils m'avaient pardonné, car ils savaient que j'étais profondément malheureux et que j'en voulais à la terre entière.

— Non, malheureusement, répondis-je après quelques secondes de silence. Ils sont morts, mon grand-père en 1959 et ma grand-mère l'a suivi de peu en 1960. Je pense qu'après avoir perdu leur fille, leur maison, leurs repères, la vie était devenue de plus en plus dure pour eux. Ils étaient déracinés. Je me suis senti coupable car j'avais rarement le temps d'aller les voir. Puis, je suis parti en Algérie juste après avoir obtenu mes diplômes. Et après, je suis parti à Rouen ...

Ce souvenir me rendit soudainement triste et me faisait encore sentir coupable. Les yeux commençaient à me picoter. Je pris soudain conscience que j'étais en train de livrer mes pensées les plus intimes et cela me troubla.

— Pardon Commissaire, d'avoir pris de votre temps. Je suis navré de vous avoir ennuyé avec tout cela.

Renouf ne dit rien, sourit un bref instant, et j'eus l'impression qu'il me regardait avec une brève lueur de compassion dans ses yeux. Puis il dit, d'un ton faussement autoritaire :

— Bon, maintenant filez ! Il faut y aller ! Vous avez du travail à finir !

Soudain galvanisé, et bien content de me tirer à si bon compte, je me levai brusquement, comme au garde à vous et dis :

— Euh oui, pardon Commissaire ! J'y vais tout de suite !

Et je sortis aussitôt, comme soulagé d'un poids, mais aussi totalement laminé, comme un suspect qui vient de sortir d'un interrogatoire serré.

Pendant la nuit qui suivit cette discussion, Je fis de nouveau le même cauchemar. Réveillé, je me demandais sans cesse comment et où la victime aurait pu avoir été retenue avant d'être tuée, et le mobile du meurtre. J'avais l'intuition que si je découvrais les "où", "quand" et "comment", je pourrais découvrir les "qui" et "pourquoi".

Cette idée m'obsédait et je me retournais sans cesse dans mon lit. Finalement, craignant de me rendormir et de refaire le même rêve, et par souci de ne pas réveiller mon épouse, je finis par me lever sans bruit et aller réfléchir sur le canapé du salon, en consultant mon précieux carnet.

L'hypothèse que le meurtrier aurait pu placer le mort dans la glacière pour le conserver me paraissait la plus évidente, mais je n'avais pas eu le temps d'aller la vérifier sur place et de trouver des indices.

Soudain, des propos tenus par la maitresse de maison le jour de la découverte du corps me revinrent en mémoire. Elle disait que La saulaie était marécageuse et subissait régulièrement les débordements ponctuels de la Seine lors des crues d'hiver ou de forts orages de fin d'été. Plus personne ne voulait y aller, cet endroit étant devenu dangereux, presque insalubre. C'était, dans la région, la seule partie de la rive de la Seine qui n'avait pas été protégée par une digue. Honorine, la cuisinière, avait dit à peu près la même chose.

J'avais moi-même constaté que le sol près de l'eau était particulièrement spongieux et instable et j'en avais fait l'expérience, bien malgré moi.

Et puis, pourquoi aurait-on tué Malandain avec une arme de la seconde guerre mondiale ? D'où sortait-elle ? Ou était-elle maintenant ? Et d'où le tir pouvait il provenir ? Tout cela tournait et retournait dans mon esprit, sans que j'y trouve vraiment de réponse.

Une autre chose me tracassait depuis ma dispute avec Sophie. Je me demandais si le danger que je pouvais rencontrer parfois dans mon métier pouvait être compatible avec une vie familiale, maintenant que j'avais la responsabilité d'un enfant à naître. Il fallait que je veille à prendre moins de risques, ne plus foncer tête baissée dans des explorations parfois hasardeuses, et prendre exemple sur l'inspecteur Bertier qui était la prudence et la pondération personnifiée. Un vrai défi, étant donné ma nature téméraire et parfois irréfléchie !

Au lever du jour, pendant que je prenais mon petit déjeuner dans la cuisine, Sophie apparut, les cheveux emmêlés et les yeux bouffis par le manque de sommeil.

— Je ne sais pas ce que tu avais cette nuit, dit-elle, mais tu n'as pas arrêté de remuer dans tous les sens, et par ta faute, j'ai très mal dormi, dit-elle, en bâillant, et de mauvaise humeur.

— Ah, je suis sincèrement désolé de t'avoir réveillée. N'arrivant pas à dormir, je me suis levé cette nuit et je suis resté finalement dans le salon. J'ai une idée qui me trotte dans la tête depuis hier.

— Encore ta fichue enquête ! Ton cerveau de policier ne s'arrête-t-il donc jamais ? dit-elle d'un air agacé.

Puis, elle commença à préparer son petit-déjeuner.

— Sophie, lui demandai-je, te souviens-tu du gros orage d'il y a deux semaines ?

— Si je m'en souviens ? dit-elle en ricanant. Ah oui alors ! Nous revenions du week-end passé chez Tonton à Honfleur et l'orage s'était déclenché pile lorsque nous sommes arrivés à proximité de Rouen. C'est là que la capote de la 2CV a percé, juste au-dessus de ta tête, et les gouttes tombaient sur ton front, ploc ! Ploc ! Ploc ! D'ailleurs, elle n'est toujours pas réparée ! Alors à la prochaine grosse averse, cela va recommencer.

C'est vrai que je suis négligent sur bien des points. En fait, j'en fais trop à la fois, et comme on dit, qui embrasse trop, mal étreint.

— Et on avait beaucoup ri, en comparant ce goutte-à-goutte à un supplice chinois, renchéris-je. Et j'ai passé mon temps à m'essuyer les yeux car je n'y voyais plus rien, mais on a moins rigolé après en arrivant à la maison, en constatant que notre cave était inondée ! Toutes les BD que j'avais entreposées par terre baignaient dans 20 cm d'eau et j'ai dû tout jeter à la poubelle.

— En effet, répliqua-t-elle d'un ton sarcastique, quelle charmante soirée nous avons passée pieds nus, en short dans cette maudite cave, à essayer de l'écoper avec un seul seau, et aussi toutes les gamelles de la maison, parce que tu ne voulais pas appeler les pompiers, ce que nous avons quand même fini par faire au bout de trois heures. Et eux, ils l'ont vidée en dix minutes ! On peut dire que tu es têtu quand tu t'y mets !

— C'était bien il y a deux semaines, c'est ça ?

— Aurais-tu déjà oublié cette mémorable soirée  ? Mais pourquoi me demandes-tu cela, tu as des trous de mémoire ? dit-elle, intriguée.

— Non ! C'est peut-être une explication qui servirait pour mon enquête. Je vais aller à la préfecture pour me renseigner sur les crues qui se sont produites en Haute Normandie récemment. S'il y a eu des orages, il y a certainement eu une montée des eaux de la Seine.

— Ah bon ? dit Sophie en croquant dans sa tartine. Elle n'insista pas car elle sentait que, comme d'habitude, malgré ses questions, je ne lui en dirais pas plus, secret professionnel oblige !

Tout en finissant mon petit déjeuner, je repensai à mon hypothèse selon laquelle le meurtrier aurait pu mettre sa victime, morte ou vive, dans la glacière, car il ne pouvait pas accéder à la barque, la Seine ayant débordé et qu'il ait attendu le moment opportun pour se débarrasser d'elle, une fois l'eau redescendue. Si la préfecture confirme que la rivière était bien en crue récemment, je retournerai avec Bertier explorer de ce côté.

Cette pensée me ragaillardit, malgré la nuit blanche que j'avais passée. Je me frottai les mains d'excitation à l'idée d'avoir peut-être trouvé une explication. Elle restait néanmoins à vérifier, en espérant que ce n'était pas, encore une fois, le fruit de mon imagination débordante.

Tout souriant, j'embrassai ma femme sur le front. Elle me regarda d'un air étonné, enfiler ma veste et mon imper, et sortir.

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now