Chapitre 43 - La souricière

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Un mois plus tard, en cette brumeuse et froide matinée de février 1965, nous nous trouvions dans le bureau du commissaire, en train de faire le point sur les recherches concernant le réseau des malfaiteurs et qui malgré nos efforts acharnés, n'aboutissaient pas. Ceux-ci avaient disparu dans la nature et ne donnaient plus signe de vie. Pas de trace des faux billets non plus. Bien que nous nous appuyions aussi sur un réseau d'indicateurs, nous n'obtenions que très peu d'informations. Pourtant, une série de braquages de bijouteries dans la région avait eu lieu, mais les bandits s'enfuyaient chaque fois en ne laissant aucun indice, la police arrivait toujours trop tard et on n'était pas sûrs que cela avait un lien avec la bande de Marie Malandain.

Bertier avait quitté la PJ, il était parti à l'Ecole Nationale de Police pour reprendre ses études pour devenir commissaire. A quarante cinq ans ! Chapeau ! Maintenant, je devais faire équipe avec Martineau qui prenait le relais. C'était la première fois que nous devions vraiment travailler ensemble.

La presse commençait à émettre des commentaires acerbes sur cette enquête qui piétinait, et le procureur, ainsi que le préfet et le commissaire divisionnaire, mettaient la pression sur Renouf qui devenait de plus en plus nerveux. Bref, l'ambiance n'était pas au beau fixe à la PJ, et nous subissions souvent les colères du commissaire sans broncher. Et Bertier me manquait terriblement. Lui seul, par la force tranquille qui émanait de lui en toutes circonstances, savait le calmer.

Un jour, la chance tourna en notre faveur, début mars. Le braquage d'une bijouterie de Rouen venait de se produire et, celui-ci ayant mal tourné, l'un des malfaiteurs fut grièvement blessé par des tirs de la police et abandonné sur place par ses complices qui ont réussi à s'enfuir en prenant des otages, heureusement libérés plus tard. Il fut incarcéré à la prison Bonne Nouvelle à Rouen, et enfermé sous bonne garde à l'infirmerie, pendant que ses complices couraient toujours.

Aussitôt, il fut identifié comme faisant partie de la bande de Marie Malandain, en recoupement avec les renseignements fournis par les gendarmes. Le commissaire Renouf, Martineau et moi-même avions été prévenus et nous étions partis l'interroger.

La façade et l'imposante porte d'entrée ne manqua pas de rappeler de mauvais souvenirs au commissaire Renouf qui sentit un frisson le parcourir. Triste endroit rendu insalubre à cause de la surpopulation, la prison Bonne Nouvelle fut utilisée pendant la guerre par la Gestapo, qui y emprisonna des milliers de personnes, dont des résistants, des juifs, et des détenus politiques, de juin 1940 à août 1944. Pendant cette période, elle fut aussi fortement endommagée par des bombardements. Personnellement, c'était la première fois que je m'y rendais.

Nous y pénétrâmes et fûmes dirigés vers l'infirmerie, sous escorte des gardiens.

L'homme était allongé dans son lit, très mal en point. Nous l'interrogeâmes, mais, ne pouvant à peine parler, il ne put nous dire où ses complices pouvaient se cacher. Quand on lui demanda où les faux billets se trouvaient, dans un demi délire, il répéta à plusieurs reprises le terme « énervé » et sombra dans le coma. Alertés, les infirmiers arrivèrent et la décision fut prise de l'emmener en urgence à l'hôpital.

Voyant qu'il n'y avait plus rien à faire, nous sommes repartis. Dans la voiture, nous nous sommes demandé ce qu'il avait bien voulu dire par « énervé », terme qu'il avait répété plusieurs fois.

— Il m'a énervé avec ses "énervés" celui-là, râla Martineau.

Ce mot éveilla soudain un écho dans ma mémoire.

— Je me souviens, dis-je, que lorsque j'ai visité l'Abbaye de Jumièges avec le professeur O'Reilly il y a cinq mois, j'ai vu deux gisants dans le musée. Ils sont connus sous le nom des « énervés de Jumièges ». Bien entendu, il ne s'agit pas de personnes énervées au sens actuel. C'est une légende parlant de princes dont on aurait arraché les nerfs pour les rendre invalides, en guise de punition. Peut-être que les billets seraient cachés à proximité, voire sous le tombeau. Cependant, Il existe également un tableau les représentant au musée des Beaux-Arts de Rouen. Mais je ne pense pas que l'on ait pu cacher quoi que ce soit derrière le tableau. Il faudrait peut-être plutôt commencer par examiner ces statues, et si on ne trouve rien, aller voir ce tableau. Mais finalement, dis-je prudemment, cela n'a peut-être aucun rapport.

— Après tout, pourquoi pas ? dit Martineau. Qu'en pensez-vous, Patron ? On n'a rien à perdre de toutes façons, au point où on en est !

— Oui, pourquoi pas ? Cela ne me paraît pas être une mauvaise idée, dit Renouf, et je crois que Danny pourrait nous aider sur ce coup-là. Je l'appellerai demain matin.

Le lendemain matin, on apprit le décès de l'homme appréhendé la veille, qui avait fini par succomber à ses blessures.

— Commissaire, dis-je, cela me donne une idée, il faudrait que la mort de cet homme soit cachée pendant un certain temps.

— Ah bon, et pourquoi ?

— Nous pourrions, via notre réseau d'indicateurs, faire répandre la rumeur selon laquelle l'homme que nous avons arrêté aurait révélé la cachette à un détenu sur le point de sortir de prison après avoir purgé sa peine. De crainte de se faire dérober le butin, ses complices iraient certainement se précipiter pour récupérer les faux billets avant lui et nous n'aurions plus qu'à les cueillir. Mais auparavant, il faudrait bien nous assurer que ceux-ci se trouvent bien là où nous le pensons.

— Mais c'est diabolique, ce plan ! Comment as-tu pu imaginer un truc pareil ? demanda Martineau.

— Ben, euh... j'ai piqué cette idée dans un roman policier, ça m'est revenu tout à coup, dis-je avec un sourire en coin.

— Un roman policier ? demanda Martineau, ébahi.

— Vous voyez bien qu'il nous mène en bateau, dit le commissaire et vous, vous ne marchez pas, vous courez !

Le plus drôle c'est que j'avais vraiment pioché cette idée dans un roman policier que j'avais lu quelques mois plus tôt, pendant que j'étais encore au centre de rééducation, mais, finalement, je préférai leur laisser croire le contraire, cela faisait plus sérieux.

— Et puis j'ai appris par notre réseau d'indicateurs qu'un détenu allait sortir demain matin de la prison Bonne Nouvelle. Je connais le détenu en question. C'était l'un de mes anciens indics. Je vais le contacter demain et je suis sûr qu'il sera prêt à jouer le jeu.

— Ah oui ? Demanda Renouf, je vois que vous avez déjà mis votre petit traquenard au point. Et depuis quand ?

— Depuis ce matin, et puis je connais le type, je suis sûr qu'il sera prêt à coopérer avec nous, d'ailleurs, il n'aurait pas intérêt à nous doubler, sinon, c'est le retour direct à la case « prison » sans empocher les vingt mille francs, comme au Monopoly. Il a encore quelques petits délits à se reprocher, sur lesquels je crois qu'on pourrait passer l'éponge, s'il coopérait avec nous.

— Donc, maintenant, tu as recours au chantage ? Pas très moral tout ça ! gronda Martineau.

— Martineau, arrête de jouer les innocents ! J'ai simplement appliqué tes méthodes, c'est tout ! Je sais, ce n'est pas dans mes habitudes, repris-je, mais il faut en finir avec cette affaire et il faut parfois savoir lâcher du lest. Et puis, j'ai été à bonne école avec toi. Alors, qui veut la fin, veut les moyens et à malin, malin et demi !

— Martineau ? Ça vous ressemblerait bien ce genre de combine ! répondit Renouf. Avec vos coups tordus et vos tuyaux plus ou moins douteux ! Mais, Gilbert, c'est quand même un peu risqué, et pas très moral votre stratagème, non ? 

— Et qui propagerait cette fausse nouvelle ? demanda Martineau d'un air ironique, et concernant le détenu, as-tu pensé au danger que tu lui ferais courir ?

— Je verrai avec lui demain. Sinon, j'abandonnerai ce plan.

— Eh bien, si ça marche, et comme tu as eu cette riche idée, c'est toi qui va propager cette fausse nouvelle, dit Martineau.

Ça, je n'y avais pas pensé. J'étais pris à mon propre piège. Maintenant, il fallait assumer.

Finalement, après maintes tergiversations, la réponse fut « oui ! », mais un oui mitigé, presque du bout des lèvres. 

Le lendemain, j'allai accueillir le détenu à sa sortie de prison et l'emmenai boire un café. Heureusement pour moi, il fut assez conciliant et la promesse de passer l'éponge sur quelques petits délits passés et de se faire oublier de nos services l'avait fait accepter mon offre. Et puis, il avait décidé de son propre chef de se mettre au vert  à Paris. 

La petite souricière commençait à prendre forme. Pourvu que cela fonctionne ! J'espérais ne pas m'être trompé en entraînant Renouf dans cette histoire.


crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now