Chapitre 41 - Le journal

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Nous avions fini par retrouver son journal intime, tenu pendant dix ans. C'est André qui l'a retrouvé, par hasard, caché dans le bureau de son père à Beaumanoir alors qu'il faisait du rangement. Lors de sa venue au manoir, faisant preuve d'une cruelle ironie, elle l'avait emporté avec elle et caché dans les affaires de sa victime.

Je l'avais emporté chez moi pour lire ses pages écrites à la plume, à l'encre noire, remplies d'une petite écriture serrée témoignant de sa hargne. J'y avais passé beaucoup de temps car j'avais besoin de comprendre les mobiles de notre tueuse. Sa lecture m'avait bouleversé, mais j'avais tenu bon.

Si seulement nous étions tombés dessus plus tôt ! Non content de dépeindre son état d'esprit, ce journal détaillait méthodiquement l'élaboration de sa vengeance et du meurtre final. Comme une terrible machine qui s'était mis en marche vers son but funeste et dont rien ne pouvait en dévier la trajectoire.

J'en ai reproduit les extraits les plus importants. Ceux du journal d'une jeune fille de seize ans au départ, jusqu'à la femme qu'elle était devenue. Parfois machiavélique, souvent en plein délire paranoïaque, elle semblait presque avoir conçu son crime comme une oeuvre d'art.

Dix ans de haine résumés dans ce cahier d'écolier.

« Juin 1954

Je suis décidée à aller jusqu'au bout pour accomplir mon plan : la destruction de cette famille de nuisibles, les Malandain. Même si je dois y laisser ma vie, justice sera enfin faite. Pas la justice des hommes, bien impuissante, mais ma justice !

On n'a pas le droit de se faire justice soi-même, dit la Loi. La loi ? Quelle loi ? Celle des nantis ! Pas celle des dépossédés, des piétinés. Quand vos sentiments sont bafoués, votre souffrance niée, et que les vrais criminels ne sont pas inquiétés, vous perdez foi en cette soi-disant justice qui ne résout rien et qui ne sert que les puissants, et qui vous laisse seul, sans recours, dans un champ de ruines.

Et en quoi consiste donc cette « justice officielle » ? En rien ! Ce n'est qu'un mot creux parmi tant d'autres, comme l'égalité et la fraternité qui ne sont que des vues de l'esprit. Elles n'existent pas en réalité.

Alors, j'ai décidé d'exercer la mienne. Même si elle s'apparente à une vengeance. Telle Némésis, son glaive s'abattra sur les coupables, tombant comme un couperet. Tant pis pour les Malandain, qui ont détruit ma famille, je détruirai tous les Malandain. Tous ! Jusqu'au dernier. Je ne crois qu'en la loi du Talion. Oeil pour oeil, dent pour dent. Mais auparavant, ils auront pleuré comme moi j'ai versé toutes les larmes de mon corps.

Lorsque j'ai surpris la discussion de mon cher Papa avec son collègue sur ce qui est arrivé à mon vrai père, j'ai alors appris l'existence de ce Malandain qui l'a exécuté sous prétexte qu'il aurait soi-disant trahi son réseau de résistants. Et subitement, j'ai tout compris. Tout est devenu clair. Il aurait trahi ? Tu parles ! Ce Malandain voulait simplement sa place et s'approprier tous ses biens. 

Et voilà qu'il m'avait tout pris, ce salaud ! Tout pris ! Et pourquoi sa famille avait-elle survécu à l'exode et la mienne avait-elle été éliminée ? Le train où nous nous trouvions, ma mère et moi, a été mitraillé. Et eux, les Malandain, ils s'en sont sortis. Ce n'est pas juste !

Et, ce soir de juin où j'avais entendu, par la porte restée entrebâillée, la conversation de mon père avec son collègue, est à marquer d'une pierre noire. Ce soir-là, j'ai perdu définitivement l'espoir de revoir un jour mon père, porté disparu, et dont je ne me rappelle plus précisément les traits. Son visage s'est effacé progressivement de ma mémoire.

Le sol s'est dérobé sous mes pieds, mais le ciel s'est ouvert et une lumière en est descendue, qui m'a dictée la mission que je devais accomplir !

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now