Chapitre 11 - Sur la scène de crime

8 2 7
                                    

Ayant quitté deux ans auparavant notre petit appartement de Rouen pour acheter une petite maison à rénover dans l'Eure, j'avais pris l'habitude de venir travailler avec ma vaillante Deudeuche bleue de 1949 et c'est à bord de ma fidèle automobile que je filai directement à la préfecture, dès son ouverture, avant d'aller au commissariat.

Je demandai à l'accueil où je pouvais me renseigner sur les montées des eaux qui auraient pu se produire dans la région deux semaines auparavant. On me dirigea vers le service de l'urbanisme. Une queue impressionnante se tenait devant le guichet. Alors, au grand dam de ceux qui patientaient, j'ai doublé toute la file, montrant ma carte de police, puis j'abordai l'employé qui me regarda d'un air réprobateur.

Cependant, il me confirma effectivement que des crues subites avaient été constatées à la suite d'un très gros orage, ce qui avait causé de nombreux dégâts sur la voirie de Rouen et ses environs et des débordements de la Seine en divers endroits. Ceci apportait de l'eau à mon moulin, si je puis dire.

Une fois retourné à la PJ, j'allai trouver Bertier et lui fit part de mes découvertes. Celui-ci me répondit que ma théorie semblait tenir debout et qu'on pouvait toujours aller la vérifier au manoir. J'étais content car, pour une fois, mon hypothèse ne lui semblait pas trop farfelue.

Nous nous y sommes donc rendus pour la troisième fois. 

Mme Malandain avait reçu un choc après l'annonce de la mort de son époux, et était allée reconnaître le corps à la morgue. Mais, bien que toujours très affectée, elle nous permit tout de même de venir explorer les lieux de nouveau. Le commissaire était venu juste après la découverte du corps et avait adressé ses condoléances à la famille, mais il avait aussi demandé à tous les membres présents de ne pas quitter la ville et de rester à la disposition de la police pour l'enquête.

Nous revînmes donc dans la petite forêt de saules, mais après, cette fois-ci, s'être équipés de bottes, étant donné l'état du terrain, et d'une lampe torche, et, bien entendu, nous nous sommes abstenus de nous approcher trop près de la rive. D'ailleurs, je ne l'aurais fait pour rien au monde, même si on m'avait payé pour cela. J'avais déjà donné !

Nous trouvâmes donc cette fameuse glacière, grâce à mon petit plan. C'était, comme l'avait décrit la maitresse de maison, un édifice en pierre, de forme cylindrique, construit sur une butte et à demi enterré, un peu caché par la végétation. Nous y pénétrâmes et fûmes étonnés d'ouvrir la porte sans difficulté. Comme on pouvait s'y attendre, il y faisait froid. Eclairés d'une lampe torche, nous descendîmes un escalier en colimaçon.

Tout en bas, il y avait une sorte de cave ronde de vingt mètres carrés environ, dont le sol était en terre battue. Nous examinâmes les lieux attentivement. Soudain, je repérai un petit bout de papier au sol, quasi recouvert de terre. Je me baissai et ramassai, à l'aide d'un mouchoir, un bout de papier cartonné : c'était la carte d'identité de la victime. On pouvait y lire : Malandain, Bernard, Michel, Gilbert, né le 10 mars 1904 à Rouen, taille, 1,80 m, cheveux bruns, yeux bleus, signe particulier : « néant » et aussi l'empreinte de son index droit, et sa photo. Celle-ci m'intrigua et je l'examinai attentivement. Le visage me parut de nouveau familier, mais, bien que profondément troublé, je fis comme si rien n'était. Je montrai la carte à Bertier. Il l'examina rapidement et la mit dans sa poche.

— Donc, dis-je, cela prouve bien qu'il est sûrement passé par cette glacière, et que la carte a dû tomber de sa poche, soit pendant qu'il se débattait, soit quand on l'a transporté ici, déjà mort.

— Oui, il y a des chances ! Bon, allons voir dehors pour vérifier ta fameuse théorie.

Nous sommes ressortis de la glacière et des traces de piétinement apparurent un peu partout, mais aussi deux profonds sillons parallèles dans la terre, allant vers la rivière. Nous suivîmes ces traces, qui semblaient conduire vers le ponton, qui se trouvait cinquante mètres plus loin, mais elles s'interrompirent un moment donné, faisant place à des traces de pas plus enfoncées dans le sol.

— Mince ! je ne les avais pas vues l'autre jour, dis-je. Mais c'est vrai que nous avions pris un chemin différent. Heureusement qu'il n'a pas trop plu récemment, sinon les empreintes auraient pu être complètement effacées.

— Et on dirait bien qu'un corps a été tiré en direction de la barque. La victime semble avoir été trainée et vu l'écartement des sillons, ce sont certainement ses talons qui les ont tracés. Puis, étant donné que ces trainées s'interrompent, peut-être qu'on l'a portée jusque dans la barque, les traces de pas étant plus profondes. Bien vu Gilbert ! je crois que tu as mis dans le mille !

J'étais enfin content que mon chef abonde dans mon sens, mais je cachai ma joie. Bertier, généralement, n'aimait pas les démonstrations d'autosatisfaction.

La barque, toujours amarrée au ponton, fut de nouveau passée en revue attentivement, mais nous n'y trouvâmes pas d'autre indice et le souvenir de cette petite clef dorée, maintenant classée dans le dossier, me titillait toujours. En tout cas, mon hypothèse semblait tenir la route.

Nous nous dirigeâmes vers le manoir pour téléphoner et demander à l'équipe de la police scientifique de venir le plus vite possible pour fermer le périmètre et prendre des photos des traces avant qu'elles ne soient totalement effacées par la pluie.

Sur le chemin du retour, je m'enhardis et dis à Bertier :

— Il y a toujours un truc qui me chagrine et je n'arrête pas d'y penser !

Devant son air interrogateur, je continuai :

— D'après le rapport de la balistique, la victime a été tuée d'une balle de fusil, tirée d'une distance d'une cinquantaine de mètres. Si elle a été abattue dans le parc, là où on a trouvé la branche avec le sang, d'où viendrait donc le tir ? Du manoir ? C'est trop loin et quelqu'un l'aurait entendu ! Sauf si tout le monde est complice et nie avoir entendu quoi que ce soit. Du grenier ? Pas possible, il n'y a pas de lucarne qui donne de ce côté, et de toute façon, ce serait bien trop loin. De cet endroit ? Celui-ci est difficilement praticable à cause du sol saturé d'eau, à moins que le meurtrier ne soit venu avec des bottes aux pieds, mais avec la densité de la végétation, cela me semble difficile de tirer à coup de fusil vers le parc. Sauf si...

Je m'interrompis, voyant que mon chef semblait être agacé par mon verbiage incessant.

— Sauf si ? demanda Bertier les sourcils levés, les poings sur les hanches, avec des "si" , on pourrait mettre Paris en bouteille. Qu'est-ce que tu as encore imaginé ?

Là, je voyais bien qu'il m'attendait au tournant. Il fallait que je sois sûr de mon raisonnement. Je me lançai donc dans mon explication, que je souhaitais n'être pas trop hasardeuse. J'avalai ma salive avant de répondre.

— Eh bien, le coup de feu aurait pu avoir été tiré des alentours du mur de soutènement vers le manoir. D'ailleurs, j'ai vu sur le plan l'existence de souterrains. Certains débouchent même dans la forêt, située à l'ouest du manoir, donc en dehors de la propriété, et il y en a aussi un autre, qui débouche près du parc. Malheureusement, lorsque j'ai visité les caves, j'ai bien vu des issues, mais elles semblent avoir été bouchées il y a des siècles par de gros moellons.  

Bertier me regarda d'un air dubitatif mais je continuai mon raisonnement :

— Alors, je me pose la question suivante : n'existerait-il pas dans le manoir une  une entrée clandestine, voire une porte dérobée qui pourrait donner directement accès à tous ces souterrains et dont l'un mènerait vers le bout du parc. Et, si c'était le cas, le meurtrier n'aurait-il pas tiré de cet endroit ? 

Bertier s'arrêta et se gratta la tête.

— Ton explication me parait bien embrouillée, dit-il. Et puis, on a bien fouillé toute la maison et on n'a rien trouvé ! Encore une fois, tu as trop d'imagination ! On se croirait dans un mauvais roman policier ! Oublie donc tout cela.

— Peut-être que j'ai trop d'imagination, mais quand même, ça me tracasse ! Et puis il y a ce point, là, sur le plan, d'où partent tous les souterrains qui rayonnent un peu partout, dis-je en lui montrant le croquis tiré de mon petit carnet noir. Mais impossible de trouver son emplacement !

Il poussa un gros soupir, en me disant que j'étais têtu comme une bourrique.

Encore une fois, je ne l'avais pas convaincu. Je doutai alors. Et si, finalement, je m'étais encore laissé emporter par mon imagination débordante ? Pourtant, j'étais quasiment sûr que je m'approchais de la vérité.

à suivre...

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now