Chapitre 8 - Le cadavre parle enfin !

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Le lendemain de ma rocambolesque découverte du cadavre, le commissaire, qui avait été prévenu la veille au soir, nous convoqua tous les deux, Bertier et moi, dans son bureau.

Je n'avais presque pas dormi, et j'avais une mine de papier mâché. Ayant attrapé froid, je parlais d'une voix inhabituellement nasillarde, grave et rauque, car j'étais fortement enrhumé et je toussais continuellement.

Le commissaire nous informa que le corps était bien celui de Bernard Malandain, identifié par sa famille, et que celui-ci avait bien été assassiné. Pour l'instant, tous ses proches étaient considérés comme faisant partie des suspects.

— Gilbert a trouvé un nouvel élément concernant l'enquête, dit Bertier. La victime aurait été atteinte d'un cancer du pancréas et était en sursis. Nous avons en main le résultat d'une analyse qui en fait part .

— Ses proches auraient-ils été au courant de sa maladie ? demanda Renouf.

— Je n'en ai pas l'impression, dis-je. André Malandain m'a dit que son père se portait bien en apparence, mais qu'il avait de fréquentes douleurs à l'estomac.

— S'ils avaient su qu'il était gravement malade, ils ne se seraient pas donné la peine de le tuer, ils auraient simplement attendu sa mort pour toucher l'héritage, à moins qu'ils n'aient voulu hâter les choses, dit le commissaire. Donc ils sont tous suspects, du moins pour l'instant.

Ouf ! on ne m'avait pas questionné sur la façon dont j'avais trouvé ce papier...

— Le procureur a donné son accord pour que nous lancions l'enquête préliminaire, poursuivit-il, puisqu'un corps a été trouvé, et qu'il a été identifié. Allons voir Vergne pour savoir ce qu'il a pu en tirer.

Lorsque nous arrivâmes à la morgue, le Dr Vergne, petit homme d'une cinquantaine d'années, aux cheveux rares plaqués sur son crâne et aux yeux malicieux derrière ses lunettes d'écaille, nous dit alors, avec son humour habituel :

— j'ai longuement dialogué avec mon pensionnaire et il m'a dit des choses très intéressantes !

Puis, il s'arrêta de parler, afin de guetter nos réactions.

— Comme quoi ? Bon ! Arrêtez donc de nous faire languir, Vergne, annoncez la couleur ! dit Renouf un peu sèchement.

Comme d'habitude, le légiste avait le don de l'agacer en ne venant pas au fait tout de suite, pour ménager le suspense. Il lui faisait le coup à chaque fois.

Sans se départir de son calme habituel et le sourire aux lèvres, car sûr à l'avance de son petit effet, Vergne poursuivit :

— Eh bien, il avait la cheville droite brisée et il a reçu un coup sur l'arrière de la tête, mais ce n'est pas ça qui l'a tué !

— Ah bon, dis-je, c'est quoi alors ? je n'ai pas eu le temps de l'examiner réellement, étant donné les circonstances !

— Il a été abattu d'un coup de fusil dans la poitrine, d'une distance d'une cinquantaine de mètres Et, tenez-vous bien, la balle qu'on a retrouvée date de la deuxième guerre mondiale. Le service balistique a eu du mal à identifier l'arme et a dû faire appel à un expert, qui a trouvé : un fusil Lee Enfield.

A cette annonce, nous fûmes tous les trois ébahis.

— Ce serait donc un fusil de la deuxième guerre mondiale ? demanda le commissaire, étonné, c'est une arme anglaise, provenant sûrement d'un stock d'armes parachutées pendant la guerre et il y en a eu plein par ici.

— Oui, étrange n'est-ce pas ? Mais il a sûrement été tué avant d'être jeté à l'eau car on n'a pas trouvé de liquide dans ses poumons. Mais, ce qui est encore plus bizarre, c'est l'absence de décomposition, étant donné que cela faisait plus d'une semaine qu'il avait disparu. Alors, soit on l'a tué récemment, soit on a dû le tuer, puis le conserver au frais, et le jeter à l'eau plus tard, mais cela me semble peu probable, il faudrait un grand réfrigérateur ou une chambre froide pour cela.

— Je pense que c'est possible, dis-je, la voix altérée par le rhume que j'avais attrapé.

Tous les regards convergèrent alors vers moi, interrogateurs et dubitatifs à la fois. Et, me souvenant de la glacière mentionnée par Mme Malandain, je me risquai à poser une question. Tant pis si elle paraissait loufoque.

— Et si, avant qu'on ne le jette à l'eau, le corps avait été enfermé provisoirement dans la glacière qui se trouve au fond du parc ?

Devant l'air étonné et attentif de mon auditoire, je poursuivis mon raisonnement :

— Mme Malandain avait mentionné l'existence d'une glacière. J'ai vu sur le plan qu'elle n'était pas loin du ponton qui donne sur la Seine, mais je n'ai pas eu le temps de l'explorer. Il faudrait que j'y retourne. Je pourrais alors éventuellement y retrouver quelques indices me confirmant qu'on l'a utilisée.

Puis, voyant qu'ils ne disaient toujours rien, je m'enhardis et continuai mon raisonnement.

— Peut-être que, pour brouiller les pistes, le meurtrier y aurait déposé le corps de la victime pendant quelques jours après l'avoir tuée et, ensuite, quelques temps après, l'aurait trainé jusqu'au ponton, hissé sur la barque pour le jeter à l'eau, lesté par une pierre, pour le faire disparaître complètement, ce qui pourrait expliquer que le corps n'était pas décomposé. Cependant, la corde que j'ai trouvée attachée au pied de la victime était à moitié rongée et je pense qu'elle a dû se rompre, ce qui a pu faire dériver le corps vers le bras mort qui était en aval. Elle a pu ensuite se prendre dans les branches qui se sont accumulées dans le fond, ce qui a maintenu le corps entre deux eaux.

— En effet, reprit Vergne, la corde qu'on a retrouvée était de mauvaise qualité et semble s'être désagrégée rapidement au contact de l'eau. Continuez donc votre raisonnement, mon petit !

— Mais, ce qui m'étonne, repris-je, galvanisé par cet encouragement, c'est la cheville brisée, le coup sur la tête, probablement donné avec la grosse branche que nous avons trouvée, et la balle de fusil. Cela n'a pas de sens ! Pourquoi aurait-on  d'abord assommé la victime pour lui tirer dessus ensuite, et d'assez loin, avec un fusil ensuite ? N'y aurait-il pas eu deux agresseurs successifs ? Et puis on pourrait supposer que la victime aurait pu se briser la cheville en tentant de fuir l'un de ses agresseurs.

— Oh la-la, dit Bertier, ça y est, il repart dans ses délires, le Gilbert ! Hercule Poirot a encore frappé !

— Mais non, pourquoi pas ? répondit Vergne, ce n'est pas idiot ! Tout est possible après tout !

Puis s'adressant aux autres :

— Ce garçon est remarquable de perspicacité ! Un vrai Sherlock Holmes ! Et quelle imagination débordante ! Au fait, s'adressant à moi de nouveau, vous vous êtes bien remis de votre bain de pieds ?

— Ah ! Vous n'allez pas vous y mettre vous aussi ! dis-je. Mes collègues n'arrêtent pas de me taquiner à ce sujet, Ils rient à chaque fois que j'éternue, et c'est cent fois par jour !

Et, d'avoir forcé ainsi ma voix, je fus pris aussitôt d'une quinte de toux.

— En tout cas, je vous remercie de nous avoir facilité le travail, dit Vergne. Nous n'avions plus, grâce à vous, qu'à attraper le corps avec un crochet et le tirer vers nous. Sinon, nous aurions dû appeler les plongeurs pour le récupérer. Et je ne sais pas s'ils auraient accepté de se plonger dans un bourbier pareil !

— C'est tout Gilbert, renchérit Bertier pour détendre l'atmosphère et en faisant me faisant un clin d'oeil. Il n'hésite pas à payer de sa personne pour rendre service !

Ils se mirent tous à rire. Je ris aussi de bon coeur, ce qui me provoqua une nouvelle quinte de toux.

— Ah, trêve de plaisanterie ! j'oubliais un détail très important, dit Vergne. Notre homme était condamné à plus ou moins brève échéance. On lui a découvert une tumeur au pancréas. Deux ans, trois peut-être au plus à vivre !

(à suivre...)

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeWhere stories live. Discover now