Chapitre 40 - Autopsie d'un crime

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Pendant que je me remettais peu à peu, des collègues continuèrent l'enquête sous la direction de Bertier. Je vins les aider à plusieurs reprises dès que j'ai pu recommencer à marcher à l'aide de ma canne.

Quelques mois après les faits, j'éprouvais encore beaucoup de remords et de honte à cause de mon acte absurde dans le souterrain et je m'étais renfermé sur moi-même. Voyant mon désarroi, le commissaire me convoqua dans son bureau, avec l'inspecteur Bertier et ils m'interrogèrent tous deux sur les raisons de mon inhabituel silence.

Ils me tranquillisèrent un peu en m'assurant de nouveau que la meurtrière s'était engagée dans une action suicide et qu'elle serait morte de toutes façons.

Mes supérieurs me firent comprendre que, finalement, mon action, irréfléchie en apparence, avait peut-être évité un carnage. Bien sûr, ce que j'avais fait était extrêmement risqué, mais peut-être pas si stupide que cela. En tout cas, Bertier ne paraissait plus m'en tenir rigueur et semblait avoir fait la part des choses.

Cela me consola un peu, mais la colère que j'avais ressentie à ce moment et qui m'avait poussé à faire ce geste, restait, pour moi, totalement illégitime, et cela pesait lourd sur ma conscience. Cependant, cette contrition était peut-être un signe d'orgueil mal placé. J'aurais dû me pardonner à moi-même. Après tout, je n'étais qu'un être humain.

On me donna alors l'occasion de me racheter, du moins, à mes propres yeux, en me confiant la recherche des mobiles de la meurtrière. Le procureur avait donné son accord. Nous avions à coeur de comprendre les tenants et les aboutissants de ce crime hors normes. Je fis donc, avec l'accord du commissaire et du procureur, une enquête sur une criminelle qui ne serait ainsi jamais condamnée.

Je retrouvai l'adresse de l'orphelinat et j'en contactai la dirigeante afin de demander des renseignements au sujet de la petite Marie Berton. Je m'y rendis, en compagnie d'un gardien de la paix qui m'y conduisit et j'eus un entretien avec une des anciennes surveillantes, devenue directrice de l'établissement par la suite, et qui se rappelait bien de la petite, rendue mutique par les traumatismes successifs qu'elle avait subis.

Le témoignage de Paul Lemarchand, son père adoptif, dévasté par le chagrin et le remord, nous a également fourni des éléments nous permettant de remonter le fil des événements. Il avait beaucoup de mal à se remettre de la fin tragique de Marie. Il nous parla de l'orphelinat, comment lui et sa femme avaient adopté la petite fille, puis de ses troubles psychiatriques.

Pour comprendre tout cela, il fallait remonter à l'époque où la petite Marie, témoin de la mort de sa mère lors du mitraillage de leur train, fut confiée à la Croix Rouge qui l'avait ramenée à Rouen. Elle fut ensuite placée dans un orphelinat. La directrice de l'époque était la sœur de Paul Lemarchand et elle avait parlé de cette petite orpheline à son frère, dont l'épouse ne pouvait pas avoir d'enfant.

Le couple s'y était rendu et ils s'étaient tous les deux attachés à cette petite fille aux grands yeux tristes qui les avait touchés. A cause de la guerre, les formalités avaient été retardées et l'adoption n'a pu être effective qu'à la fin de l'année 1945. Elle était alors âgée de sept ans et avait pratiquement perdu la parole. C'était sûrement déjà trop tard. Le choc et la peur générés par la mort de sa mère, le fait d'être ballotée de droite à gauche, et son arrivée à l'orphelinat avaient engendré bien des traumatismes qui s'étaient enracinés dans son esprit.

L'enfant s'était ainsi réfugiée dans le silence. C'était une sorte de repli dans son monde intérieur, pour se préserver vraisemblablement du sentiment d'abandon qu'elle ressentait en permanence face à ce monde si instable et violent. En outre, pendant la guerre, l'orphelinat avait subi plusieurs évacuations dues aux bombardements, ce qui avait renforcé son sentiment d'insécurité permanente.

Elle observait le monde des adultes, de loin, et s'en était fait une idée négative et le considérait avec défiance. Elle s'était sentie brutalisée. Elle avait néanmoins développé une intelligence et une mémoire exceptionnelle. C'était pour elle une question de survie dans ce monde hostile. Mais elle avait des fréquentes crises de panique et lorsque cela lui prenait, elle criait lorsqu'on l'approchait. Il y avait aussi des périodes où elle sombrait dans une profonde mélancolie et rien ne semblait l'en faire sortir .

Lorsqu'elle put enfin être adoptée, à la fin de la guerre, les Lemarchand ne lui avaient pas caché ses origines. Et, bien qu'ils se soient montrés aimants, ses troubles continuaient à se manifester. Des périodes de mutisme et de mélancolie profonde alternaient avec des périodes plus calmes en apparence, néanmoins entrecoupées de crises de cauchemars et de paniques nocturnes.

Ses parents l'ont emmenée voir des psychiatres, mais rien n'y fit. On ne trouvait aucun remède à son mal-être. Ceux-ci avaient refusé la solution d'internement qui leur avait été proposée en dernier ressort car ils avaient toujours l'espoir qu'elle guérisse un jour.

Pourtant, elle les aimait bien, ses parents adoptifs. Quand elle sortait de son mutisme ou de sa mélancolie, elle était obéissante, bonne élève. Douée, elle avait même suivi des études secondaires poussées.

Mais son sommeil était souvent perturbé par des crises d'angoisse. Les psychologues ont conclu quelle avait certainement assisté au carnage lorsque sa mère avait été tuée, et que ce souvenir ressurgissait de façon inconsciente.

En outre, elle se posait sans cesse des questions sur ce qu'étaient devenus son père. Elle avait interrogé à plusieurs reprises les Lemarchand sur les siens, mais ils s'étaient montrés très évasifs : son père avait été porté disparu et n'avait jamais été retrouvé. Et ses incessantes questions restées sans réponses ont fini par tourner à l'obsession.

Ses troubles de la personnalité s'aggravèrent encore pendant son adolescence. A ses accès de mélancolie et de panique, s'ajoutèrent des crises de violence incontrôlée, déclenchées par la moindre contrariété, avec parfois des actes d'automutilation.

Lemarchand, interrogé, nous avoua qu'un jour, elle pourrait avoir surpris une conversation, entre lui, encore policier à l'époque et l'un de ses collègues qui était venu boire un pot à la maison. Paul Lemarchand, ayant aperçu sa fille à proximité, s'était interrompu et est allé refermer la porte qui était restée entrebâillée en espérant qu'elle n'avait rien entendu.

Ils avaient évoqué, lors de cet entretien, d'anciennes affaires non élucidées, et notamment, la disparition de Jean Berton, en septembre 1942. Une rumeur prétendait que Bernard Malandain l'avait exécuté en lui tirant dans le dos, car Berton aurait soi-disant trahi le réseau de résistants dont il faisait partie. Normalement un policier ne parle jamais en dehors de son travail des affaires qu'il traite ou d'enquêtes résolues ou non. 

Cette révélation eut certainement l'effet d'une bombe dans l'esprit de Marie, déjà fragilisé. Dans les jours qui suivirent, elle avait sûrement ressassé cette idée fixe. Elle s'était jurée de se venger un jour de ce Malandain. La cause de toutes ses souffrances et du mal-être qui en découlait depuis des années avait désormais un nom. Elle savait alors sur qui déverser la haine qui la tenaillait depuis si longtemps.

Au fil des ans, cette obsession s'était enracinée dans son esprit. Elle avait alors juré la perte de cet homme, ainsi que celle de toute la famille Malandain. Persuadée dans son esprit malade que c'était lui qui avait tué son père, elle avait décidé qu'il devait mourir et sa famille souffrir, comme elle avait souffert elle-même.

Qu'importe la façon dont elle s'y prendrait et le temps qu'elle y mettrait, ils paieraient tous un jour ou l'autre.

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang