Chapitre 19 - Les résistants

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Henri continua ses explications, l'air concentré, en fronçant les sourcils :

— Que dire sur Aurilly ? Michel Aurilly, alias Bernard Malandain, était notre chef de réseau, et j'étais un des rares, avec Jean Berton, à connaître sa véritable identité. C'était un homme très courageux. Il avait laissé tomber ses affaires pour entrer dans la résistance, alors qu'il avait trente-six ans, qu'il était chargé de famille et qu'il avait pignon sur rue. Mais grâce à Jean, il a pu mettre sa famille à l'abri en Suisse, chez des cousins, via une filière de passeurs.

— Jean Berton ? demanda Renouf.

— Oui, Jean Berton, pourquoi ?

— Non, rien, continue ! 

— Cependant, Malandain avait un grand défaut ! C'était un "don juan" invétéré ! Un séducteur compulsif ! On lui a prêté plusieurs aventures avec ses employées et aussi avec une fille de notre réseau, Ginette Lefebvre, une brave fille maline et courageuse qui prenait beaucoup de risques et qui, par chance, ou par habileté, ne s'est jamais fait prendre. Il paraitrait qu'ils auraient eu un enfant ensemble, une fille, je crois. Tu vois, je suis au courant de tous les potins mondains ! Je me demande si ce serait aussi pour cette raison qu'Aurilly, ou plutôt Malandain, aurait demandé à rejoindre le réseau du Havre, ou si c'est à cause de cette rumeur concernant Berton !

— Quelle rumeur ?

— Jean Berton était le patron de Malandain, puis ce dernier avait fini par s'associer avec lui. Une solide amitié s'était nouée entre eux avec le temps. Et, pendant la guerre, c'est Berton qui l'a fait rentrer dans notre réseau, dont Malandain serait devenu le chef par la suite. Mais un jour maudit de septembre 1942, nous étions cachés dans la forêt. Enfin, cachés, c'est vite dit, ce n'était pas le maquis ! Nous n'avons pas eu de chance car nous sommes tombés sur une patrouille de SS motorisés. Bien entendu, ils nous ont tiré dessus comme sur des lapins lorsqu'ils nous ont vus. C'était tout près de Beaumanoir d'ailleurs. Malheureusement, Jean a reçu une balle dans le dos et nous avons dû le porter. Malandain connaissait tous les souterrains de Beaumanoir, dont certains communiquaient avec la forêt. Il nous a donc conduits dans celui dont l'entrée est située derrière la chapelle abandonnée dans la forêt près de Jumièges, ce qui nous a menés dans une sorte de cavité située sous la forêt où nous avons pu nous cacher. Entre temps, les boches avaient perdu notre trace. Mais malheureusement, nous n'avons rien pu faire. Berton, grièvement blessé, est mort de ses blessures une demi-heure après. Je pense que Bernard Malandain a eu beaucoup de mal à se remettre de cette mort tragique. C'est peut-être pourquoi il a demandé à partir au Havre quelques semaines après.

— Comme nous étions en fuite, reprit Henri, nous ne pouvions pas garder le corps avec nous, alors Bernard l'a emmené avec lui. Nous ne savons pas ce qu'il en est advenu ensuite.

Il s'arrêta un instant pour reprendre son souffle.

— Et puis, continua-t-il, plus tristement, il y a eu cette sale rumeur disant que Malandain aurait exécuté Berton parce que celui-ci était près de nous trahir. Mais c'est complètement faux ! J'étais témoin, je l'ai vu mourir devant mes yeux, parce que les Allemands l'avaient abattu de plusieurs balles dans le dos !

— Mais pourquoi dit-on que Berton aurait pu trahir ? demanda le commissaire.

— On a dit, mais ce ne sont que des « on-dit » , que la Gestapo aurait pris en otage sa femme et sa  fille, Marie, pour le contraindre, par le chantage et la menace, à trahir le réseau ! C'était une pratique courante de la part de ces salopards, et avec la complicité de certains « bons français » par-dessus le marché ! Mais ce ne sont que des rumeurs, qui ont été colportées par des personnes malveillantes. Quelle sale période c'était quand j'y pense ! De quoi devenir misanthrope !

crimes et flagrants délires : Vendetta Normande - Histoire terminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant