♀ CHAPITRE 1 ♀

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Des sanglots stridents me réveillèrent en sursaut. J'émergeai lentement, me frottant les yeux. La fraîcheur de cette fin de Novembre me fit frissonner, et je frictionnai mes bras pour me réchauffer. Les clapotis de l'eau qui s'écoulait sous le pont où je m'étais retranchée attirèrent mon attention, je fermai les yeux et les laissai m'apaiser. La radée qui était tombée la veille m'avait obligé à me cacher ici.

Les sanglots mélangés à des cris reprirent. C'est alors que je me rendais compte de qui criait : une femme. Du moins de mon point de vue, je doutais fort qu'un homme ai ce timbre de voix. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas entendu la voix d'une femme. Peut-être un mois, peut-être plus. Ses cris étaient mélangés à des sanglots effrayants. Prise d'une curiosité ardente, je jetai la capuche de mon sweat gris sur mes cheveux blond, et m'élançai hors de ma cachette, quitte à enfreindre mes règles : ne pas sortir en plein jour.

Je remontai la rue de graviers, déserte en ce dimanche matin. Je m'étonnai moi-même de me rappeler quel jour il était. Tous les hommes de la ville semblaient encore endormis. Je longeai prudemment les murs des ruelles, les mains dans les poches, la tête baissée, me laissant guider par la voix sanglotante. Je m'engouffrai dans une avenue perpendiculaire, et regrettai tout de suite mon geste. Je fis rapidement marche arrière et me plaquai au mur, comme pour ne faire qu'un avec lui. Ils étaient là, les traqueurs, dans leur camionnette noire.

Je passai discrètement ma tête près du mur, pour les observer. Une femme était sortie dans son jardin, j'écarquillai les yeux, elle hurlait et pleurait. Elle se triturait les doigts dans tous les sens, s'arrachait les cheveux : elle était atteinte. Par reflex, j'enfilai mon nez sous le col de mon sweat. Deux hommes en noir, avec des lunettes de soleil à la James Bond, emmenaient une jeune fille, plus jeune que moi. La pauvre se débattait et pleurnichait. Elle ne devait pas être atteinte. Son destin était tout tracé, elle irait dans le programme HEAVEN.

Je me cachai rapidement lorsqu'un des hommes pointa son regard dans ma direction. Quelle idiote ! Ma curiosité me perdrait. Je devais absolument retourner me cacher, car si j'errais plus longtemps dans la ville, ils allaient m'attraper. Mon seul espoir était les collines un peu plus en hauteur. Elles étaient couvertes de grands arbres, je pourrais aisément m'y dissimuler.

Je tirai sur ma capuche pour m'assurer qu'elle était bien en place et me dirigeai vers les collines. Tout en marchant, je réfléchissais. Je devais trouver une maison où passer l'hiver, une maison abandonnée. Il faisait beaucoup trop froid la nuit, j'en avais fait les frais la veille. Heureusement, pour le moment, le soleil réchauffait mon dos.

Je grimpai sur un talus pour arriver à la lisière de la forêt. Enfin, le mot était un peu fort. C'était simplement un petit bois de conifères, qui périmétrait la ville. Je repensai alors à une maison sur laquelle je lorgnais depuis quelque temps. Je n'avais vu personne entrer où sortir depuis une semaine. Mais je devais me méfier, j'étais dans cette ville depuis peu, et peut-être que des squatteurs avaient déjà élu domicile là-bas. Ou peut-être que l'homme qui y habitait était en vacance. Ce n'était définitivement pas une femme qui habitait cette maison, c'était impossible, elles avaient toutes été prises. La dame de tout à l'heure était une exception, elle devait se cacher avec sa fille. Mais tôt ou tard, on doit sortir, aller chercher à manger. Et on se fait prendre, je parle en connaissance de cause. Certaines s'échappent comme moi, ou renoncent. Et je n'étais pas du genre à renoncer.

Je me dirigeai vers la maison, dont les grandes haies de Thuyas montaient à plus de trois mètres du sol. Elles n'étaient pas entretenues, et confirmaient mon idée que la maison était certainement abandonnée. Je devais tout de même être prudente. J'hésitai à attendre la nuit pour entrer, mais je n'avais rien dans le ventre, et j'espérais trouver quelque chose ici. Tant pis, je me glissai à travers les haies qui me griffaient le visage, et dont l'odeur piquante me chatouillait le nez, pour atterrir dans le jardin de la grande maison. Quelque chose clochait, tous les volets sans exception étaient fermés. Je fis prudemment le tour de la maison en guise d'inspection, elle comportait un étage. Une fois derrière la maison, je levai la tête, et remarquai une petite fenêtre ouverte au premier. Un sourire vainqueur s'esquissa sur mon visage. J'avais vu une échelle dans le jardin un peu avant, près d'un cabanon de bois. J'allai la chercher, la démélant des herbes qui s'étaient enroulées autour des barreaux, et commençai mon ascension. C'était facile, trop facile. Une fois arrivée en haut, je sorti mon opinel de la poche de mon vieux jean délavé.

J'atterris dans une salle de bains. Elle était très propre, je commençai à me dire que quelqu'un vivait ici finalement. Mais j'étais allée trop loin, quitte à le menacer, j'aurais cette maison. Je bue au robinet et étanchai la soif qui me tiraillait.

Le couteau en main, je sortis de la salle de bains et descendis au rez-de-chaussée sur la pointe des pieds. Personne en vue, je me dirigeai vers un endroit très important : la cuisine. En entrant dans celle-ci, je me statufiai. Une tasse remplie d'un liquide encore fumant était posée sur le plan de travail, ainsi que des porte-documents et des feuilles un peu partout. Le quelqu'un qui vivait ici était là, quelque part dans la maison. Prise de panique, je rebroussai chemin, mais des voix m'arrêtèrent dans ma fuite. Zut, ils étaient plusieurs ! J'étais fichue, mes yeux zigzaguaient dans la pièce cherchant une échappatoire. Je haletais, transpirais. Une porte ! Il y avait une porte dans la cuisine. Je l'ouvris et m'engouffrai à l'intérieur de la pièce. Un cellier : j'étais prise au piège.

Trop tard pour faire demi-tour, quelqu'un entrait dans la cuisine. Je fermai la porte du cellier avec rapidité. Par chance, c'était une porte en bois avec des fentes par lesquelles je pouvais voir. J'aperçus une première personne entrer, et j'en eu le souffle coupé, c'était une femme ! Décidément, c'était bien ma journée. Peut-être serait-elle plus tolérante si elle me trouvait.

Elle était au téléphone et semblait donner ses coordonnées à quelqu'un. Une autre femme peut-être ? Pourquoi dévoiler sa cachette sinon ? Mon cœur s'arrêta lorsque je vis une deuxième personne entrer dans la pièce. Une enfant, une toute petite fille. J'étais bouche-bée, émerveillée. C'était les petites filles qui avaient succombé les premières. Comment se faisait-il qu'elle soit encore en vie ? Elle ne pouvait pas être née après le virus, elle avait plus de deux ans. Peut-être que la femme au téléphone s'était enfermée ici depuis deux ans, sans contact avec l'extérieur ? Cela expliquerait pourquoi la petite semblait en pleine santé. Je reculai au fond du cellier quand je la vit s'approcher de la porte, serrant mon couteau dans ma main moite. La gamine allait me trouver, j'étais finie...

HEAVENOù les histoires vivent. Découvrez maintenant