cinq // pluie

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Old House, Armors

Le lendemain matin, Marcus se prépara son premier café de la journée et s'exila dans son bureau. Enfin, celui de son hôte. Il le croisa d'ailleurs en chemin et se contenta de lui adresser une courtoise salutation sans plus de cérémonie avant de disparaître derrière l'écran de son ordinateur.

Leur dernière conversation lui avait laissé un arrière-goût amer au fond de la gorge. Il avait simplement voulu en apprendre plus sur son ami pour mieux le comprendre, car s'ils se connaissaient depuis déjà bien des années, Marcus n'avait pas l'impression de vraiment connaître l'homme derrière le nom intouchable de Harry Quebert, figure de proue des lettres américaines modernes.

Malheureusement, le principal intéressé refusait de coopérer. Il voulait garder ses petits secrets. Pire encore, il était parvenu à retourner l'interrogatoire contre lui : de Nola Kellergan, ils en étaient venus à parler de Lydia Gloor. Et d'Alice. Encore.

Marcus avait naïvement cru qu'une bonne nuit de sommeil effacerait leur discussion quelque peu houleuse de la veille comme par magie, mais non. En se réveillant ce matin, il avait compris que Harry l'avait laissé dormir et qu'il était parti seul faire son jogging sur la plage. Le message était on ne peut plus clair.

Le jeune écrivain bossait sur le plan de son roman quand Dolores Harrison frappa à la porte. Quand Harry alla l'accueillir, Marcus hésita : les rejoindre ou ne pas les rejoindre? Finalement, il choisit de continuer à travailler; il ne voulait pas affronter de nouveau un Harry morose et sibyllin et devoir faire comme si de rien n'était, histoire de sauver les meubles en présence de leur invitée.

Lorsque midi sonna, il sentit son ventre gargouiller. Il était plus que temps de faire une pause. Seulement, s'il sortait du bureau, il risquait de tomber sur Harry... Tant pis, son appétit l'emportait sur sa fierté.

À pas feutrés, il se dirigea vers la cuisine où il ne se cassa pas la tête : il se concocta un sandwich au jambon tout simple qu'il décida de savourer devant son ordinateur, tel un ermite. Au moment où il sortit de la cuisine, il entra en collision avec Harry.

— Oh, excusez-moi.

— Vous dévalisez mon réfrigérateur, maintenant? l'interrogea Harry, petit sourire aux lèvres.

Marcus baissa les yeux vers son sandwich — preuve accablante s'il en était! — et soupira.

— Harry, vous voulez que je m'en aille, ou quoi?

Harry écarquilla les yeux.

— Pourquoi voudrais-je que vous vous en alliez, enfin?

— À vous de me le dire, murmura Marcus.

Son ami fronça les sourcils et le dévisagea. Il finit par répliquer :

— J'ai plutôt l'impression que c'est vous qui avez envie de plier bagage.

Marcus éclata d'un rire incrédule, son sandwich toujours dans les mains.

— Excusez-moi?

— De toute évidence, vous m'évitez. Vous m'adressez à peine la parole tout à l'heure, vous restez cloîtré dans le bureau lorsque Dolores Harrison vient nous rendre visite, et voilà que vous vous faites à manger en catimini...

— C'est vous qui m'évitez, oui. Vous êtes allé courir seul, ce matin.

— Parce que j'avais envie d'être seul, pas parce que j'étais fâché contre vous, pauvre imbécile, soupira Harry.

Le « pauvre imbécile » cligna des yeux.

— C'est que... Je pensais que vous m'en vouliez, pour hier. Je me suis montré assez fouineur, avec cette histoire de Deborah Cooper et de Nola Kellergan...

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant