quinze // lâche

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Everybody's Dancing And I Want To Die, Deaf Havana

Si, pendant l'après-midi, Marcus assista comme ce matin aux cours de Harry, il passa le plus clair de son temps scotché à son portable. Pour faire bonne figure, il faisait mine d'écouter le cours pendant cinq minutes puis craquait : quand la petite peste daignerait-elle répondre à ses très nombreux sms?

Suite à son appel, il avait essayé de lui tirer les vers du nez. Qui voulait lui parler? Comment cette personne pouvait-elle être au courant de ce qui s'était passé sur la plage? Pourquoi se manifestait-elle à ce moment précis, et pas auparavant?

Hélas, Daisy faisait comme s'il n'existait pas; c'en était frustrant. Bien sûr, elle devait être elle aussi en cours à cette heure, mais il n'était pas dupe : quel adolescent pouvait résister à la tentation de consulter son téléphone quand le professeur avait le dos tourné? 

À la pause de 15 h, il suivit Harry à la cantine de la fac où ils se servirent chacun un cappuccino pour tenir jusqu'à la fin de la journée. Pendant qu'ils attendaient pour payer leurs consommations, derrière une bonne dizaine d'étudiants, Harry lui souffla :

—   Vous avez hâte de rentrer, hein?

—   Et comment! Pas vous?

Son ami hocha la tête. Après un moment, il lança à brûle-pourpoint :

—   Je finis la journée par le cours de création littéraire. Je suis persuadé que ça ne dérangera personne si je l'annule, surtout qu'il n'y a pas d'évaluations prévues pour aujourd'hui. Je pourrais prétexter un malaise quelconque. 

—   Mais non, ce serait insensé. Et puis, si j'étais encore votre étudiant, ça me dérangerait qu'un tel cours soit annulé.

Harry lui jeta un regard amusé.

—   Dans ce cas, relevez le nez de votre portable. Vous pensez que je ne vous vois pas, depuis tout à l'heure, hein?

Si Marcus roula les yeux, il rangea son portable. La dernière fois qu'il l'avait allumé, Daisy ne lui avait toujours pas répondu.

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Le soleil déclinait à l'horizon quand ils rentrèrent à la maison. Tout de suite, ils les aperçurent, sacs à dos à l'épaule : Daisy, assise sur le perron, penchée sur son téléphone (ah, il le savait!) et non loin d'elle, un garçon dont les cheveux noirs, très épais, lui cachaient tout le haut du visage. Il faisait les cent pas et sursauta en entendant la voiture s'approcher.

Dès qu'ils eurent claqué les portières, Daisy glapit :

—   C'est pas trop tôt!

—   Frileuse, se moqua Marcus en s'avançant vers elle.

Elle se leva d'un bond, mains plongées dans les larges poches de son manteau, et le défia du regard... avant de lui sourire. Il lui sourit aussi. Un instant, il crut que tout était revenu comme avant, mais Harry ne tarda pas à le ramener à la réalité.

—   C'est bien toi qui veux nous parler? demanda-t-il, tourné vers le garçon.

Marcus le regarda plus attentivement. C'était un adolescent comme il en avait déjà croisé des centaines à New York. Le visage blasé, inexpressif, il replaça ses lunettes (noires). Il fit un bref mouvement de la tête : ses longues mèches (noires²) suivirent le mouvement avant de retomber devant ses yeux (gris) deux secondes plus tard.

Il étira ses lèvres gercées en un sourire maladroit, puis hocha la tête à la question de Harry. Il se tenait sur un pied, puis sur l'autre; ses Converse (noires³) creusaient la terre.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant