quarante // dorian gray (1)

660 85 58
                                    

Is it my fault, is it my fault?
We've been missing each other
My Fault, Imagine Dragons

Si la vieille dame se carra de nouveau dans le fauteuil, près de la table basse, l'ombre de l'affiche des Origines du mal dans son dos, Marcus, lui, se leva d'un bond et se mit à faire les cent pas, les bras croisés. Il ne pouvait rester comme elle, immobile, dans l'attente. Il avait besoin de bouger. Il regarda l'heure sur son portable. La pièce avait commencé depuis une bonne vingtaine de minutes.

Il s'en moquait.

Tout ce qu'il voulait, à cet instant précis, était de retrouver l'homme qui d'un côté lui avait montré la voie vers le panthéon des lettres américaines et de l'autre, lui avait menti un nombre incalculable de fois à propos de « son » chef-d'œuvre. Celui qui l'avait le premier accepté tel qu'il était et celui qui lui avait aussi reproché de lui avoir caché sa véritable orientation sexuelle pendant toutes ces années.

Harry Quebert, il s'en était rendu compte à ses dépens, n'était pas la personne bourrée de talent qu'il avait toujours admirée, toujours appréciée, mais un charlatan de première qui n'hésitait pas à exploiter son prochain si cela pouvait lui servir.

Cela en tête, pourrait-il un jour lui pardonner? Deux ans plus tard, la réponse lui échappait encore. S'il avait accompagné la pétillante Daisy et la malicieuse Alma à l'étranger, c'était parce qu'il espérait revoir Harry en chair et en os afin qu'ils puissent discuter sans s'énerver, maintenant que la colère de l'un et la jalousie de l'autre s'étaient dissipées — du moins, il l'espérait. Ce serait pour lui une façon de boucler la boucle. Un mal nécessaire, en somme.

— Qu'est-ce qui vous manque pour être heureux, Marcus?

Voilà ce que Clara n'avait eu de cesse de lui demander à la fin de chaque séance. Après des mois à tourner en rond tous les mardis soirs autour de cette foutue question, Marcus avait enfin compris dans quelle direction sa psychologue le poussait.

— Si je continue à refouler les mauvais souvenirs, avait-il soufflé, ils reviendront toujours me hanter et jamais je ne pourrai être en paix avec moi-même. Il faut donc que j'affronte mes démons.

— Vous sentez-vous prêt à le faire?

— Ai-je le choix? avait-il rétorqué.

Elle lui avait alors souri, sans rien ajouter d'autre, de ce sourire tranquille et apaisant qu'il avait fini par associer à sa psy, et voilà comment il se retrouvait en ce soir de décembre dans le hall d'entrée d'un théâtre montréalais en compagnie de nulle autre que la cousine de son ex. 

— Vous êtes certaine de ce que vous avancez? Il ne veut plus rien savoir de moi? lui demanda-t-il tandis qu'il revenait vers elle, les bras derrière le dos comme un maître en train d'interroger un élève.

Béatrice Quebert, sans chercher à se lever de son fauteuil, tourna la tête vers lui, son portable dans ses mains. Tout à l'heure, elle avait demandé à son cousin, par sms, de les rejoindre séance tenante, mais pas de réponse de sa part. Marcus décida que c'était bon signe : Harry ne pouvait répondre à un sms pendant qu'il conduisait.

— C'est ce que j'ai cru comprendre, répliqua-t-elle, l'air courroucée qu'il ose contester ses dires.

Il leva les bras en signe pacificateur pour calmer le jeu.

— Dans ce cas, je vois mal pourquoi il se pointerait ici ce soir, grommela-t-il.

Béatrice lui sourit d'un air condescendant.

— Je croyais qu'après tout ce temps, vous auriez appris à connaître mon cousin.

— Que voulez-vous dire?

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant