trente // rideau

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(Je n'avais pas envie de couper en deux ce très long chapitre, comme je l'avais fait pour le 28e, alors un pavé de près de 4000 mots pour mes lecteurs, un! Servez-vous un sac de popcorn dégoulinant de beurre fondu, car la tempête tant promise débarque dans trois, deux, un... maintenant!)

Final Masquerade, Linkin Park

À contrecœur, Marcus tira la boîte vers lui. À l'intérieur, des photos. Plein de photos. Il en prit une; une gamine léchait une glace, les yeux fermés mais rieurs. Derrière sa mince silhouette, la mer. Il fut tenté d'en rester là, de conserver dans sa rétine le souvenir de la petite Nola Kellergan, heureuse et immortalisée sur pellicule. Il sentait pourtant le regard insistant de Harry sur lui tandis qu'il observait la photo, les avant-bras posés sur le rebord de la boîte. Il ne pouvait pas faire marche arrière, pas maintenant.

Lentement, il enfouit sa main dans la boîte et souleva le drap de photographies décolorées et d'articles de journaux découpés sous lequel reposaient la lettre manuscrite de Nola à Harry ainsi que le fameux paquet de feuilles, jauni par le temps mais en bon état. La première page, vierge, ne lui donnait aucun renseignement sur la nature du document, assez volumineux, alors il passa à la suivante. Il haussa les sourcils. C'était un texte entièrement écrit à la main, à la calligraphie soignée. Tout en haut, le titre, cette fois en lettres cursives.

Les origines du mal, lut-il à voix haute.

Sans relever la tête, il aperçut du coin de l'œil Harry hocher la tête, l'air grave.

— Oui, Marcus. Le manuscrit original, rédigé à la main.

— Excuse-moi, mais quel est le rapport entre nous et le manuscrit de ton livre, publié au milieu des années 70?

— Mais tout, Marcus. Absolument tout.

Il lui jeta un regard ennuyé. Il n'en pouvait plus de ses répliques sibyllines qui le déconcertaient plus qu'elles ne l'aidaient. Harry dut le comprendre, car il s'approcha de lui, les genoux posés sur le plancher dur. Il lui agrippa l'épaule d'une main; de l'autre, il lui pointa le manuscrit. Ses traits étaient crispés, peinés.

— Tu ne vois donc pas, Marcus? Tout est pourtant là!

Malgré lui, Marcus détacha son regard du manuscrit pour le poser sur la main de Harry sur son épaule. C'était un contact familier, bienvenu, qu'il n'avait pas ressenti depuis le début de l'été. Pour un court moment, il en oublia la rancœur accumulée et ne souhaita plus que se blottir contre le torse de l'autre homme, protégé du monde extérieur, cruel et laid.

Leurs regards se croisèrent. Harry plissa les yeux et libéra son épaule, et aussitôt, la magie du moment se volatilisa. Sans doute pour dissiper le malaise qui s'installait, il répéta sa question à voix basse :

— Tu ne vois pas, Marcus?

Marcus secoua la tête. La main de Harry sur son épaule lui manquait. Harry lui manquait.

— Très bien, je vais te montrer.

Harry se leva et tira sur la poignée du premier tiroir du bureau, qui révéla son contenu d'un grincement peu harmonieux. Il en sortit un crayon HB qu'il ne prit même pas la peine d'aiguiser et retourna auprès de Marcus. Sans un mot, il s'empara du manuscrit et gribouilla la première phrase des Origines du mal, à côté de l'originale.

— Tu ne remarques rien?

Les yeux rivés sur le manuscrit, Marcus haussa les épaules. Au risque de passer pour un imbécile fini, il ne remarquait rien d'extraordinaire. Tout ce qu'il voulait, c'était comprendre pourquoi Harry se comportait de manière aussi étrange; son intérêt pour ce manuscrit tout jauni frôlait le zéro.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant