trente-quatre // canada

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Chances, Athlete

C'est du suicide, songea Harry tandis qu'il courait à en perdre l'haleine sur la route de campagne qui menait à Goose Cove. Pourtant, il continuait à galoper. Il n'avait pas regardé une seule fois en arrière depuis qu'il avait quitté le poste de police. Il n'avait pas osé. Il n'avait même pas encore fait ses bagages qu'il s'imaginait déjà être poursuivi par toutes les polices du pays.

Il devenait fou. Travis Dawn lui avait vendu sa salade, et il l'avait avalée toute crue, sans même se questionner sur sa qualité ou son goût. Partir du New Hampshire parce qu'il ne voulait pas payer pour ses crimes? Marcus avait eu raison sur ce point : il n'était qu'un gros lâche. Il n'était pas capable d'écrire un bon livre? Il volait celui d'un autre. Il ne voulait pas aller en prison? Il s'enfuyait, la queue entre les jambes. Encore et toujours les mêmes erreurs, n'apprendrait-il donc jamais?

Il s'efforça de ne pas y penser quand il aperçut le toit de sa maison qui s'élevait au-dessus des pins et des sycomores. Il était arrivé. Mais il devait se dépêcher. Son temps était compté. Dès qu'il poussa la porte, Winston lui sauta dessus, tout joyeux.

— On n'a pas le temps de jouer, mon vieux, s'écria Harry en le repoussant doucement. On part en vacances, toi et moi.

Il fila à l'étage, Winston derrière lui, et commença à faire ses valises. Il décida de n'emporter que le strict nécessaire : cartes de crédit, argent liquide, brosse à dents, rasoir, lunettes de lecture, ordinateur portable, livres de chevet... Le reste, il pourrait sans problème l'acheter une fois à destination.

Quand il redescendit, il passa devant son bureau — celui-là même dans lequel Marcus avait écrit son plus récent roman — et pensa à sa boîte de souvenirs, qui contenait photos, articles de journaux et missive signée de la main de Nola. Devait-il apporter tous ces souvenirs avec lui? Non, décida-t-il après un moment d'hésitation. Ils ne serviraient qu'à lui rappeler sa solitude et sa misère. S'il souhaitait repartir à zéro, autant bien faire les choses.

Bientôt, l'horloge indiqua 11 h. À la course, il coupa l'eau et l'électricité et s'assura que tout était en ordre dans chaque pièce. Il rangea aussi les verres et bouteilles vides qui traînaient, histoire qu'un dépotoir ne l'attende pas à son retour à Goose Cove... enfin, s'il y revenait un jour. Pour l'instant, il n'était sûr de rien.

Quand il fut prêt à partir, il appela Winston, qui accourut aux pieds du seul maître qui lui restait, et verrouilla la porte de sa maison. Personne ne prenait cette peine à Aurora, où le crime n'existait soi-disant pas, mais comme une journaliste s'était l'année passée introduite sur son terrain à son insu, d'autres pouvaient réussir cet exploit, et Harry ne souhaitait pas que des photos de sa douche et de sa chambre à coucher paraissent dans la presse à scandale.

Il ne se berçait pas d'illusions : sa rupture avec Marcus ferait la une de ces stupides journaux. Finalement, c'était peut-être une bonne chose qu'il quitte ce bon vieux Goose Cove...

Une fois confortablement installé au volant de sa Corvette rouge, il caressa la tête de Winston, assis sur le siège passager. L'animal était si obéissant et adorable qu'il n'avait pu se résoudre à le mettre sur la banquette arrière. Avec un soupir, Harry mit la clé dans le contact et... son portable sonna. Tout étonné, il le dégaina de sa poche de jean et décrocha par pur automatisme.

— Allô?

Une voix juvénile lui répondit :

Hello, Harry?

— Daisy? Pour que tu m'appelles, j'imagine que ça doit être important?

Il n'avait pu camoufler la légère impatience dans sa voix; il devait se dépêcher de partir, dans quelques heures, il aurait la police de l'État à ses trousses. Même si Travis ferait de son mieux pour brouiller les pistes, il devait prendre le plus d'avance possible.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant