dix-neuf // fantôme

1K 114 79
                                    

Carnival Of Rust, Poets Of The Fall

Ce furent les premières lueurs du matin qui le réveillèrent. Il poussa un râle mécontent. Même s'il adorait se lever (très) tôt, là, sur le coup, il ne se sentait pas la force d'émerger de son profond sommeil. Avec des gestes lents, paresseux, il couvrit ses yeux encore fermés de ses deux mains, mais ne parvint pas à se rendormir.

— Holà, la belle au bois dormant, se moqua une voix familière.

Instinctivement, il ouvrit un œil... et le regretta aussitôt. Les lumières étaient si vives, si éclatantes. Trop éclatantes. En plus, une sourde douleur commençait à lui vriller le crâne et les tempes.

Peu à peu, il se souvint de la veille : à un moment de la soirée, la petite amie de Douglas s'était jointe à eux. Elle revenait de l'hôpital d'où elle bossait comme infirmière, et l'une de ses collègues l'accompagnait. Une fois les présentations faites, ils avaient... eh bien, peut-être bu un peu plus que prévu. Ça lui rappelait la pas si lointaine époque de la fac, où il prenait des cuites presque chaque semaine.

— Je pensais que tu tenais mieux l'alcool que ça, tu sais, continua la voix.

Cette fois, il parvint à ouvrir les deux yeux. Il réalisa qu'il se trouvait dans le salon de Douglas et Kelly, couché en chien de fusil dans leur canapé moelleux. Il aperçut du coin de l'œil son ami déposer un verre d'eau et des cachets d'ibuprofènes sur la table basse devant lui. Il était vêtu d'un t-shirt trop ample pour lui et de joggings.

Marcus lui lança un sourire pleine de reconnaissance, après quoi il se força à se dresser sur son séant et à avaler deux cachets. Assis sur le rebord du canapé, les bras mous contre ses cuisses, il émergeait lentement du sommeil.

— Mouais, il faut croire que je me fais vieux, grinça-t-il, cynique.

Douglas sourit. Lui aussi tenait un verre d'eau à la main.

— Kelly est partie au Starbucks chercher le petit-déjeuner, expliqua-t-il. Tu peux rester et manger avec nous, si tu veux.

Marcus secoua la tête.

— Merci, mais non merci. Je n'ai pas tellement faim.

— Il faut bien que tu manges un peu, non?

— Plus tard, maman, répliqua-t-il avec un léger sourire.

Douglas haussa les épaules et partit allumer la chaîne stéréo, installée près d'un cactus de près d'un mètre — importé du Nouveau-Mexique, à ce qu'il paraissait. Bientôt, une douce chanson à la guitare s'éleva dans l'appartement, dont les murs autrefois crèmes avaient été repeints en bleu marine.

Avec un long soupir, il se leva du canapé et faillit se rasseoir tant il se sentit étourdi. Il plaisantait quand il avait lancé à Douglas qu'il se faisait vieux, mais force lui était de reconnaître qu'il n'était pas si loin de la vérité. Il n'aurait peut-être pas dû boire autant. Au moins, ça lui avait permis, ne serait-ce que pendant quelques heures, d'oublier Harry...

Harry. Oh, non. Les mains tremblantes, il fouilla dans ses poches de jean et en sortit son portable. Aucun sms ou appel manqué de sa part. Peut-être se fichait-il de ce qui pouvait lui arriver? De toute évidence, il ne s'inquiétait pas pour lui, autrement il l'aurait bombardé de messages. Ou peut-être souhaitait-il plus vraisemblablement le laisser tranquille, après ce qui s'était passé entre eux?

Il avait bien vu comment Marcus avait réagi lorsqu'il avait essayé d'amener le sujet sur le tapis : il s'était esquivé. Et il n'aurait pas dû.

— Salue Kelly de ma part, moi il faut que j'y aille.

Douglas se tourna vers lui.

— Quoi, déjà?

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant