dix-sept // point de non-retour

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Hold On, Twin Atlantic

Dans la voiture, Marcus alluma la radio. Il se moquait de tomber sur une chanson niaise; il voulait entendre n'importe quoi sauf sa petite voix intérieure qui lui torturerait l'esprit à coup sûr. Hélas, malgré une voix nasillarde en arrière-plan, il repensa à ce qui venait de se passer.

Maintenant qu'il savait que tout était de la faute d'Alice, il n'arrivait plus à le regarder de la même manière. Comment pouvait-il l'aimer et en même temps le trahir?

Oh, Marcus lui-même n'était pas blanc comme neige dans l'histoire, c'était un fait. Mais méritait-il vraiment de se faire traîner dans la boue comme un moins que rien? Il avait l'impression que le châtiment dépassait largement le crime commis. D'une main, il dénoua son nœud papillon, il se sentit un peu mieux.

Ça roulait bien sur l'autoroute. Vu le temps que ça leur avait pris pour sortir de New York, la soirée était déjà bien avancée et les voies, dégagées. Ils croisèrent en fait peu d'automobilistes mais beaucoup de camionneurs. La tête collée contre la vitre glacée, Marcus observa défiler les logos des grandes marques imprimés sur les conteneurs : Safeway, Wal-Mart, Target...

Comme il s'obstinait à garder le silence, Harry finit par lui poser des questions. Était-ce bien le Alice avec qui il avait trompé Lydia Gloor? Que lui voulait-il? Qu'avait-il dit? Surtout, qu'il n'essaie pas de lui mentir, il ne fallait pas un QI de 200 pour se douter que ça n'allait pas. Marcus soupira et lâcha enfin, la voix rauque :

— C'est à cause d'Alice si les journalistes savaient tout, depuis le début.

— Quoi? C'est ça qu'il voulait vous dire?

— Non, il voulait juste prendre de mes nouvelles, je pense. Mais ça a... disons, dégénéré.

C'était le cas de le dire. Il coula un regard vers Harry, qui serrait le volant avec peut-être un peu plus de force qu'il n'en fallait.

— Quand il a commencé à pleurer, je suis parti. Je l'ai laissé là.

Il s'attendait à ce que Harry le sermonne pour ça, parce que ça ne se faisait pas entre gens civilisés, mais à sa grande surprise, il se contenta de hocher la tête. Il comprenait que l'animal l'emportait parfois sur l'humain le plus civilisé, qu'à un moment, l'être humain envoyait promener toute la civilisation. Telles étaient les lois de l'univers, inscrites quelque part dans les étoiles.

— Je suis désolé, Harry. Ça a carrément gâché la soirée.

— Peut-être, mais vous auriez dû voir votre tête quand on est sortis du théâtre. Vous n'étiez clairement pas en état de rester là une minute de plus.

— J'aurais préféré ne jamais rencontrer Alice.

Harry soupira.

— Ça sert à quoi de vous dire ça maintenant, au juste? À part de vous torturer l'esprit?

— Ça sert à me rappeler qu'une mauviette comme Alice, je n'en veux plus.

On aurait pu prendre ses paroles à la légère, mais son ton de voix était plus que sérieux; il en pensait chaque mot. De toute évidence, son histoire avec Alice n'était pas faite pour durer, du moins si on croyait à ce genre de contes de fées.

Harry laissa échapper un petit rire, et Marcus s'apprêtait à lui demander ce qui était si drôle quand il lui posa une question qui le prit au dépourvu :

— Vous l'avez aimé, cet Alistair?

En fait, il n'avait jamais réfléchi à la question. Il avait été attiré par Alice, par ses manières douces et affectées, et par son corps fragile, pas musclé pour un sou, c'était certain. Mais l'avait-il aimé? Avait-il aimé son esprit? Ses tics de langage? Ses plaisanteries juvéniles? Son hypersensibilité? Ça ne lui avait pas déplu, mais de là à affirmer avec certitude qu'il s'agissait d'amour, il y avait tout un monde.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant