vingt-six // manuscrit

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Honest, Kodaline

Juin 2008

— Tu comptes me montrer ça aujourd'hui ou dans dix ans? Parce que faudrait savoir, là.

La gamine penchée près de lui s'impatientait, les coudes posés sur le bureau. Les doigts au-dessus du clavier, il soupira. Il l'apercevait du coin de l'œil, avec son chignon mal fait et son habituelle moue enfantine. Elle mâchait un chewing-gum avec moult exagération, comme une vache mâche son foin.

— Attends un peu, Fifi Brindacier, je me relis, marmonna-t-il, les yeux concentrés sur l'écran de son ordinateur portable.

Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas employé ce surnom, ça lui rappelait le début de leur amitié. Dire qu'ils se connaissaient depuis l'année passée, déjà...

— Dépêche, je travaille dans une demi-heure, moi, j'ai pas toute la journée, lui rappela-t-elle, visiblement ennuyée.

— Tu ne seras pas en retard.

— Et il faut que je m'arrête chez Aldous.

— Je n'ai pas oublié.

Depuis qu'il avait lui aussi été engagé au Clark's, juste avant Noël, elle s'arrêtait chez lui en chemin pour qu'ils se rendent au boulot ensemble, à pied ou à vélo. Ils s'étaient beaucoup rapprochés grâce à cela; Marcus savait que grâce à Daisy, le très timide adolescent apprenait peu à peu à regarder les gens dans les yeux et à s'exprimer face aux autres.

Marcus soupira à nouveau. Il avait achevé la rédaction de son roman hier soir et enthousiaste d'avoir franchi cette étape, s'était levé avant l'aube pour s'attaquer sans plus attendre à la réécriture et la révision. Du coup, il avait peaufiné son premier chapitre toute la matinée et sur le coup de midi, il était prêt à être lu en avant-première par la jeune demoiselle, comme il le lui avait promis quelques jours plus tôt.

— Très bien, tu peux le lire, lui concéda-t-il avec un sourire en coin.

Marcus tourna l'écran de l'ordinateur vers elle tandis que Daisy s'avançait pour mieux lire. Son premier chapitre n'était pas très long, à peine cinq pages, alors elle ne mettrait pas des heures à le lire. C'était heureux, car il était certain qu'elle le frapperait si elle arrivait en retard au Clark's soi-disant par sa faute. Sacrée Daisy...

Il patienta pendant qu'elle savourait le prélude de son nouveau roman, prévu pour la rentrée littéraire de cet automne. Daisy, s'avéra-t-il, était une lectrice peu expérimentée, qui prenait le temps de décortiquer chaque phrase, mais qui poussait des oh de surprise ou d'admiration aux bons moments. Il ne l'avouerait jamais à voix haute, mais elle était assez mignonne, comme ça.

Une fois sa lecture achevée, elle se tourna vers lui, les yeux ronds.

— Wow, c'est trop bon, souffla-t-elle. J'ai trop hâte de savoir la suite! Je peux aussi lire le deuxième chapitre?

Il éclata de rire, ravi de sa réaction si enthousiaste.

— Une autre fois, peut-être. Celui-là, il faut encore que je le retravaille.

— T'es lent, dis donc.

Elle fit la moue, puis consulta sa montre.

— Merde, jura-t-elle, je vais être en retard. Bye, Marcus!

Elle se rua vers la porte du bureau, ses Converse sales résonnaient sur le plancher de bois franc. Pas un seul remerciement, pas un seul geste de la main. Que ces deux mots. Bye, Marcus. La tête tournée vers la porte du bureau qu'elle venait de franchir, il haussa les épaules. Il était habitué au comportement (en apparence) insensible de la demoiselle. Elle le frappait, l'injuriait, c'était une amitié assez particulière, mais il ne l'aurait changée pour rien au monde.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant