onze // vérité

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Open Your Eyes, Snow Patrol

Tandis qu'il regardait Daisy s'éloigner de lui, un gobelet brûlant de café dans ses deux mains, Harry espéra que tout se passerait bien pour elle : si lui-même n'avait pas grandi auprès d'un père alcoolique, il imaginait fort bien que cela puisse être difficile pour un enfant, peu importe son âge.

Il repensa à ce qu'elle lui avait confié : selon elle, Harrison buvait beaucoup plus depuis leur arrivée à Aurora, le mois passé. Pourquoi? Ne se plaisait-il pas dans sa nouvelle maison? Bien sûr, s'il voulait se bousiller la santé, c'était son problème, mais Harry n'oubliait pas la façon grossière qu'il s'était comporté avec Marcus et lui : s'il était capable d'insulter et de menacer deux inconnus, il devait être capable d'en faire autant avec sa propre famille.

La question était, jusqu'où pouvait-il aller?

Il était persuadé que Dolores, sa femme, connaissait la réponse. En tout cas, elle devait en savoir plus que Daisy. Il se souvint qu'elle était venue une première fois à Goose Cove pour se faire dédicacer Les origines du mal; or, comme il était absent ce jour-là, elle avait bavardé avec Marcus. Peut-être s'était-elle confiée à lui à propos de l'alcoolisme de son mari? Elle avait pu laisser échapper une remarque anodine à un moment de la conversation qui pouvait éclairer la situation sous un tout nouvel angle.

Il se promit d'en glisser un mot à Marcus; d'ailleurs, il était plus que temps qu'ils aient une bonne conversation, tous les deux. Maintenant qu'il s'était vidé le cœur auprès de Daisy, il se sentait un peu plus serein vis-à-vis du comportement mystérieux de son ami. Il lui en voulait toujours, mais il n'avait plus envie de lui hurler dessus.

Il remonta le grand escalier qui menait à la chambre de Marcus et tomba sur la docteure Pendergast qui venait en sens inverse. Elle l'intercepta :

—     Vous allez voir monsieur Goldman, je présume?

À son hochement de tête, elle le prévint :

—     Je vous rappelle qu'il a subi quelques coups à la tête, alors je vous demanderais de ne pas élever la voix en sa présence. Il a vraiment besoin de calme et de repos.

—     Je comprends.

—     Vu ce qui s'est passé aujourd'hui, ne le contrariez pas non plus avec des commentaires ou des questions qui pourraient l'embarrasser.

—     Je ne suis tout de même pas un monstre, se défendit-il.

Elle lui jeta un regard méfiant.

—     Vous aviez l'air très énervé tout à l'heure, monsieur Quebert, alors je préfère prévenir que guérir, comme on dit.

Il se retint de rouler les yeux devant tant de chichis.

—     Parfait, c'est noté. 

Il ne tarda cependant pas à comprendre pourquoi Pendergast se montrait si prudente : en entrant dans la chambre de Marcus, il ne vit pas Marcus mais un jeune homme dans un sale état, au visage et aux avant-bras couverts d'ecchymoses.

Vêtu de la robe bleu clair des patients de l'hôpital, il dormait comme un bébé, sans doute à cause des médocs qu'on lui avait injectés. Il n'était donc conscient ni de ses yeux noirs et boursoufflés, ni du long rouleau de pansement enroulé autour de son crâne, qui jurait avec le teint violacé de ses joues. Il dormait, le visage paisible, inconscient de tout.

À sa gauche, une petite fenêtre, encadrée de rideaux jaune moutarde fort hideux, qui donnait sur le stationnement; à sa droite, une table de nuit qui avait connu de meilleurs jours et sur lequel on avait déposé un verre d'eau.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant