vingt-cinq // winston

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Roads Untraveled, Linkin Park

En quelques jours seulement, la grande révélation Goldbert donna lieu, comme il fallait s'y attendre, à une espèce de révolution sociale et médiatique qui divisa le pays en deux camps bien distincts.

D'un côté, il y avait les pro-Goldbert, qui publiaient des messages pour la plupart virulents et revendicateurs sur le net : lorsqu'ils ne saluaient pas le courage de Harry et Marcus de s'assumer tels qu'ils étaient, ils clamaient haut et fort qu'il était plus que temps de laisser derrière nous les mœurs et principes des générations précédentes. En d'autres termes, pourquoi se moquer de deux hommes simplement parce qu'ils s'aimaient? Bien sûr, ce n'était pas un amour conventionnel, loin de là, mais était-ce une raison pour calomnier deux personnes innocentes, fussent-elles célèbres? Après tout, l'amour n'avait-il ni âge ni sexe?

De l'autre côté, il y avait les anti-Goldbert, qui étaient loin de partager cette opinion pleine de bons sentiments. Selon eux, Harry et Marcus n'étaient rien de moins que de mauvais exemples à suivre. Qu'ils soient deux hommes ne les dérangeait pas, pas plus qu'ils aient... quoi, au moins vingt ans de différence? Mais ils étaient des écrivains, des artistes, alors forcément, il fallait s'attendre à tout de leur part. Vraiment, si la situation n'était pas aussi choquante, elle aurait pu être drôle. Qu'allait-on tolérer ensuite? La zoophilie? La scatophilie? Ça deviendrait vite n'importe quoi.

La surveillance policière autour de Goose Cove — voire de la petite ville d'Aurora — fut renforcée pour des questions de sécurité. Harry comme Marcus n'avaient pas oublié la visite surprise de la journaliste au manteau rose vif, qui s'était carrément imposée chez eux avec ses mille et unes questions indiscrètes. Horripilante, envahissante mais maligne, elle était parvenue à leur tirer les vers du nez : en effet, les deux hommes, malgré leur grande différence d'âge, ressentaient l'un pour l'autre beaucoup plus que de la simple amitié. De cette confession officielle et imprimée dans tous les journaux à potins du pays, les Américains s'étaient fractionnés entre les pro-Goldbert et les anti-Goldbert.

Les opinions des uns et des autres mises de côté, un fait ne changeait pas dans toute cette histoire : les ventes des livres de Harry Quebert et de Marcus Goldman grimpaient en flèche. Tous s'empressaient de dévorer les œuvres des deux écrivains de l'heure, certains allant même jusqu'à débattre des soi-disant sous-entendus homosexuels qui s'y cachaient. Naturellement, Roy Barnaski, le cupide éditeur à la tête de Schmid & Hanson, jubilait. Il l'appelait presqu'à chaque jour pour le féliciter, lui qui étrangement était resté muet depuis cet automne vis-à-vis de la déchéance de son jeune écrivain prodige.

— Vous êtes génial, Goldman! Génial! lui hurlait-il chaque fois aux oreilles en guise d'introduction.

— Si vous le dites, Roy, soupirait Marcus.

— Vous ne comprenez pas ce qui se passe, est-ce que je me trompe?

Marcus s'irritait alors :

— Au contraire, je le comprends très bien. Depuis que j'ai commis l'erreur de coucher avec Lydia Gloor, les projecteurs sont constamment braqués sur moi, et encore plus maintenant que Harry et moi...

— Mais justement! Harry et vous! Vous formez un couple tellement inusité que les gens ne peuvent s'empêcher de s'intéresser à vous. Et puisqu'ils s'intéressent à vous, ils s'intéressent du même coup à vos livres. N'est-ce pas merveilleux?

— Non. J'aurais préféré avoir la paix.

Il avait l'impression de radoter la même phrase depuis des jours. Non, correction : depuis des mois. Depuis ce satané mois d'août. Il revoyait le visage horrifié de Lydia en le découvrant nu et enroulé autour d'Alice...

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant