trente-trois // magouilles

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Stay, Hurts

Au beau milieu de la nuit, la tête embuée de songes tous aussi absurdes les uns que les autres, Harry sentit qu'on le léchait — ou, plus précisément, qu'une langue molle et baveuse de chien lui léchait le coude, avant de passer à son bras replié contre ses yeux. Il poussa un grognement mécontent et, tout endormi, repoussa l'animal à l'aveuglette avant qu'il ne revienne à la charge — l'entêté gredin! — quelques secondes plus tard.

Impossible de se rendormir. Il ouvrit les yeux. À sa grande surprise, c'était déjà le matin, et il était couché en position fœtale dans le canapé du salon. Winston lui léchait toujours le bras. Cette fois, Harry l'envoya paître d'un geste brusque de la main, et le chien, tout penaud, alla se recroqueviller dans un coin de la bibliothèque.

— Oh Winston, ne fais pas cette tête! s'esclaffa-t-il. Qu'est-ce qui t'a pris de me réveiller de si bonne heure, hein?

Il s'assit sur le canapé, bâilla. Regarda l'heure affichée sur l'horloge accrochée au mur. Seigneur! Il était déjà 9 h. Pour lui qui se réveillait toujours à l'aube, c'était une première. Les sourcils froncés, il se demanda ce qui avait bien pu le tenir éveillé si tard pour qu'il déroge ainsi à sa routine matinale quand il se rappela ce qui s'était passé la veille.

La maison pleine à craquer d'inconnus, sa colère et son incompréhension face à son crime vieux de trente-deux ans, la fuite dans la nuit, la bagarre à quatre contre un, son départ précipité... À cette pensée, il eut envie de s'allonger à nouveau et de pleurer, et à cette nouvelle pensée, de se rouer de coups de poing.

Il se passa une main sur le visage, comme pour empêcher toute larme traîtresse de couler sur son visage abîmé par la fatigue, mais ne put se retenir de renifler. Une fois, deux fois. Bon sang, il avait chialé tout son saoul jusqu'aux petites heures du matin, avant de s'écrouler comme une masse sur le canapé. Il n'allait pas recommencer ce matin!

Pour s'empêcher de sombrer dans le pathétique, il se força à se lever — aussi tentante que fût l'idée, il n'allait tout de même pas passer la journée sur le canapé — et se crispa sous l'effort. Son dos lui faisait un mal de chien; cette brute de Rick Harrison le lui paierait cher.

Dents serrées par la douleur, main plaquée contre ses reins, il se fraya un chemin parmi les déchets et les bouteilles vides. Quelqu'un avait très généreusement fait le ménage à l'extérieur de la maison, mais avait négligé de s'occuper de l'intérieur. Résultat, il devrait vivre dans un quasi dépotoir jusqu'à ce qu'il ait le courage de tout ramasser. Tout était évidemment de la faute de Marcus et de sa stupide fête.

À la salle de bain, il avala deux comprimés d'ibuprofène. La douleur s'estompa petit à petit. Miracle pharmaceutique? Effet placébo? Il l'ignorait, toujours était-il que ses muscles commençaient enfin à se détendre.

Il se débarrassa de ses vêtements de la veille, dans lesquels il avait dormi, puis passa à la douche, qu'il décida de prendre très froide dans l'espoir de s'extirper de son état de torpeur. Pendant les premières secondes, l'eau glacée affola les battements de son cœur et l'empêcha de respirer tant le choc était grand. L'envie de couper l'eau lui nouait les tripes, mais il se contraignit à rester immobile sous le pommeau de douche et à se concentrer sur sa respiration, exactement comme lorsqu'il courait. Inspirer, expirer, inspirer, expirer...

Un moment plus tard, il sortit de sa douche serein et revigoré; pendant qu'il entreprenait de se sécher, un jappement plaintif attira son attention sur le husky qui l'attendait dans le couloir. À la vue de son maître, l'animal s'assit, pencha la tête sur le côté et l'observa de ses grands yeux pastel.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant