vingt // corps

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Sirens, Pearl Jam (ou Whole Lotta Love de Led Zeppelin, au choix...)

Sans pouvoir s'en empêcher, il poussa un cri de surprise qui mourut, étouffé, sur les lèvres de l'autre homme. Pendant un long moment, il demeura pétrifié, ses yeux grands ouverts. Il se demanda un instant si son imagination ne lui jouait pas un sale tour. Cette main, frêle et froide, contre sa joue et ces lèvres hésitantes, timides, soudées aux siennes, étaient-elles réelles? Il n'osa pas bouger un seul muscle, de peur que tout gâcher, avant de se rendre compte que son immobilité pouvait prêter à confusion.

Comme si Harry lisait dans ses pensées, il se détacha de lui en moins de deux. La tête baissée, il se recula de quelques pas et se perdit dans d'interminables excuses — qu'il lui pardonne, il n'aurait pas dû faire ça, il ne savait pas ce qui l'avait pris — pendant que Marcus, lui, se fendait d'un grand sourire. Avec de grandes enjambées, il le rejoignit. Sans la moindre hésitation, il entoura son visage de ses mains et joignit leurs lèvres à nouveau.

À cet instant précis, que lui importaient les railleries et les regards de travers qu'ils se récolteraient très certainement au détour du chemin, s'il pouvait toucher cet homme encore et encore et encore? Les yeux mi-clos, il enlaça sa taille, ses mains au-dessus de son bassin, et l'attira à lui. Bientôt, il sentit les bras de Harry tâter ses épaules, puis son cou pour finalement s'y enrouler, les pressant davantage l'un contre l'autre, leurs bouches toujours scellées.

Sans même s'en rendre compte, Marcus avait repris le contrôle de la situation en un rien de temps. Il lui apparaissait plus qu'évident que Harry ne savait pas comment réagir à ses baisers et à ses caresses, sans doute parce qu'il s'était empêché d'aimer pendant toutes ces années au nom de sa gamine disparue. Ce n'était pas grave. Marcus le guiderait, Marcus lui réapprendrait. À lui d'être le mentor, et à Harry d'être l'élève.

Quand ses poumons lui firent trop mal, Marcus se détacha de lui, mais ne le lâcha pas pour autant. Au contraire, il l'étreignit encore plus fort tout en reprenant son souffle, son front collé contre le sien. De loin, il avait toujours cru Harry ne faisait pas son âge, mais force lui était de constater que, tout compte fait, de minces rides sillonnaient son front. À force d'être ainsi examiné, Harry grimaça, le regard fuyant.

— Vous êtes conscient, j'espère, que vous pourriez avoir bien mieux que moi?

Après ce qui venait de se passer, son ton de voix très sérieux amusa Marcus. C'était peut-être sa façon d'alléger son malaise. Il décida de jouer le jeu :

— Je pourrais avoir mieux que l'un des meilleurs écrivains de ce pays? Je ne crois pas, non.

Harry roula les yeux et le repoussa. Les bras croisés, il marcha jusqu'à la baie vitrée derrière laquelle on pouvait admirer la mer. Marcus le rejoignit, entêté. Il ne le laisserait pas se refermer sur lui-même.

— Qu'est-ce qui ne va pas? tenta-t-il. J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas?

Harry laissa échapper un rire nerveux. Pour la première fois qu'ils se connaissaient, il s'adressa à lui de manière informelle :

— Mais non, Marcus. Ce n'est pas toi, le problème. Je veux dire, regarde-toi, un peu. Tu es jeune, beau, tu as la vie devant toi. Tu pourrais avoir n'importe qui. Et je suis sûr que tu le sais.

— Mais je ne veux pas n'importe qui, dans quelle langue il va falloir que je te le dise? s'emporta Marcus. Écoute, je ne sais pas comment on en est arrivés là. Mais ce que je sais, c'est que je ne veux pas d'un type qui part travailler à 8 h et qui ne rentre qu'à 17 h, pendant que je reste à la maison pour écrire. Je ne veux pas d'un type qui accepte à contrecœur, juste pour me faire plaisir, de courir avec moi le matin ou de m'accompagner à l'opéra, au théâtre et dans des galeries d'art. Je ne veux pas non plus d'un type qui fasse semblant de s'intéresser à mes livres et qui me couvre de louanges à l'excès pour ne pas me blesser.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant