vingt-trois // mère

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Breathe Underwater, Placebo

Et sans un mot, ils quittèrent le stationnement du Clark's. Dolores étant venue à pied, c'est à pied qu'ils y allèrent. C'était elle qui ouvrait donc la marche, les mains enfouies dans les poches de son manteau, et derrière elle venaient Harry et Marcus. Heureusement pour eux, leur guide marchait d'un pas vif, de sorte qu'ils n'avaient pas besoin de ralentir le pas. Pendant un long moment, ils n'entendirent que le bruit de leurs bottes qui raclaient le trottoir craquelé par l'usure.

Marcus regardait son compagnon, juste à côté de lui, dont le visage grave lui laissait présager le pire. Il mourrait d'envie de lui poser mille et une questions, de s'excuser de s'être emporté devant tout le monde et surtout de s'assurer qu'il n'était pas trop secoué par ce qui venait de se passer, mais il n'avait guère l'envie de s'épancher devant Dolores, à portée d'oreille.

Bientôt, ils rejoignirent l'un des quelques quartiers résidentiels d'Aurora, celui-là rempli de SUV familiales et de vélos pour enfants dans les cours, toutes bien entretenues et recouvertes d'une fine couche de neige. De l'autre côté de la rue qui faisait face à cet amas de maisons certaines modernes, d'autres victoriennes se dressait l'unique école primaire de la ville, bien évidemment déserte en ce samedi soir.

Dolores s'arrêta devant une maison beige à deux étages, à côté de laquelle se trouvait un garage, fermé. Ils étaient arrivés. D'un signe de la main, leur guide les invita à les suivre; ensemble, ils remontèrent l'allée, très large, parsemée de petits cailloux. Elle déverrouilla la porte et les prévint, sourire aux lèvres : leur humble demeure était loin de rivaliser avec Goose Cove.

Alors, certes, il n'y avait ni superbe bibliothèque, ni cheminée en pierre, ni vue directe sur la mer, mais le cocon des Harrison n'en était pas déplaisant pour autant. Près de la porte d'entrée, un escalier en bois franc menait à l'étage, et un long couloir, entrecoupé çà et là par diverses pièces, traversait tout le premier étage de la maison jusqu'à la cuisine. Sur les murs beiges, quelques gravures abstraites que Marcus admira au passage. Au bout de ce même couloir, une énorme tête d'orignal empaillée l'observait.

C'était drôle, c'était la première fois que Harry et lui visitaient les Harrison. Jusque-là, ça avait toujours été eux — Rick, Dolores ou Daisy — qui passaient à Goose Cove, jamais l'inverse. Fort heureusement, le père n'était pas là, comme leur en avait assuré la mère, mais qu'en était-il de la fille? Il n'osait pas imaginer sa tête quand elle apprendrait ce qui s'était passé au Clark's. Il ne se berçait pas d'illusions : l'adolescente y travaillait, alors l'incident de ce soir lui parviendrait tôt ou tard, qu'il le veuille ou non.

À sa question, Dolores acquiesça de la tête.

— Daisy? Oui, elle doit être dans sa chambre.

Elle déposa ses clés et son son sac à main sur le guéridon posé près de la porte d'entrée et cria :

— Daisy, tu es là?

Pas de réponse. Dolores leva les yeux au ciel.

— Comme je la connais, elle écoute de la musique trop fort. À force, elle va devenir sourde. Enfin, peut-être qu'elle nous rejoindra plus tard.

Elle les débarrassa de leurs manteaux.

— Vous pouvez vous installer dans le salon, messieurs, je vais préparer le café.

Au salon, Marcus s'intéressa à la maigre bibliothèque des Harrison, composée de livres de cuisine, de romans — dont tous ceux de Harry — et d'au moins une centaine de numéros du magazine de chasse et pêche Field & Stream empilés les uns sur les autres. Une vieille télévision trônait à quelques mètres du canapé, sur lequel venait de prendre place Harry. Marcus s'approcha de lui, mais resta debout.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant