vingt-huit // pénultième (2)

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The Way It Was, The Killers

— Franchement, moi je déteste Twilight. Pas toi?

— Euh, pour être honnête, je ne l'ai pas vu.

— Non? Ça m'étonne un peu, je t'avoue.

Marcus braqua son regard, mauvais, vers le gringalet adossé contre le mur. Ses habituels longs cheveux noirs lui mangeaient le front et les joues, et ses yeux gris clair, soulignés par un généreux trait de eye-liner, étaient à peine épargnés par le massacre capillaire.

Avec son teint cadavérique, ce n'était pas du tout étonnant que lui l'ait vu, tiens. Mais comme Marcus n'était pas homme à s'attaquer à quelqu'un rien que pour son physique, il rétorqua plutôt :

— Pourquoi ça t'étonne? Parce que tous les gays sont supposés baver devant les films pour midinettes?

Aldous esquissa un faible sourire.

— Mais non, abruti. Parce que tout le monde semble avoir vu ce navet.

Marcus le détailla de haut en bas, piqué au vif par l'insulte gratuite. Le garçon se croisa les bras, cachant du même coup la tête de mort imprimée sur son t-shirt noir.

Aldous parvenait certes à s'exprimer sans bégayer, un exploit que Marcus n'aurait pas cru possible s'il n'en avait pas été témoin, mais son marmonnement si caractéristique, lui, ne l'avait pas quitté. Était-ce si difficile d'ouvrir correctement les lèvres et d'articuler comme tout être humain civilisé?

— Répète un peu ce que tu viens de me dire, gamin? grinça-t-il entre ses dents.

Ce n'était pas une bonne idée de commencer une dispute aussi puérile ici et maintenant, il en était plus que conscient. Seulement, il n'avait jamais apprécié le garçon, et voilà que ce dernier essayait de le pousser à bout avec ses remarques pleines d'insolence.

— Te fâche pas, s'esclaffa Aldous. C'est Daisy qui m'a donné la permission de t'appeler comme ça. Elle avait raison, c'est assez marrant.

Daisy. Naturellement. Parfois, Marcus se demandait si la petite chipie était véritablement son amie... ou non. Où était-elle passée, d'ailleurs, qu'il lui dise deux ou trois mots? Juste au moment où il pensait à elle, elle surgit de la masse de gens pressés les uns contre les autres, comme des sardines, dans le salon de Goose Cove.

L'annonce de la « petite » fête donnée à l'occasion de la parution du nouveau livre de Marcus avait fait le tour de la région en un rien de temps, tour de force sans nul doute orchestré par Douglas et Barnaski. Toujours était-il que l'effet boule de neige avait fait mouche : tout le monde avait voulu pénétrer dans l'antre du couple littéraire dont avaient tant parlé les journaux l'année dernière.

C'était l'occasion rêvée de les voir enfin se minoucher en vrai, et non sur de simples photographies imprimées dans des journaux bas de gamme. Apparemment, huit mois seulement après que le Goldbert soit devenu officiel, tout le monde avait décidé de retourner sa veste : deux écrivains amoureux vivant ensemble dans une grande maison de pierre au bord de la mer, n'était-ce pas romantique à souhait, tout compte fait?

Résultat, les invités de base — ceux de qui Harry et Marcus étaient vraiment proches, entre autres Dolores, Daisy, Travis et Jenny — s'étaient permis d'emmener d'autres invités qui, eux, s'étaient permis d'emmener d'autres invités qui, eux, s'étaient... Bref, Marcus avait l'impression que tout l'État du New Hampshire s'était donné rendez-vous à Goose Cove en cette douce et chaude soirée d'août.

Tandis que la petite rousse, vêtue d'un pull moutarde et de short en jean, s'avançait vers Aldous et lui, il jeta un regard amer et agacé sur toutes les personnes présentes dans le salon qui continuaient de jacasser dans un brouhaha insupportable. Parmi toute cette foule, il n'osait imaginer combien d'entre eux avaient parlé dans son dos au cours de l'année précédente. Si ça se trouvait, tous étaient coupables d'hypocrisie. Tous, sans exception.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant