quarante // dorian gray (2)

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I'm so desperate just to see your face
Meet me in this broken place
Without You, Ashes Remain

À l'extérieur, sa silhouette mal éclairée par la lumière nue et fatiguée des réverbères, Marcus enfouit sa tête dans le col de son manteau et frotta ses mains l'une contre l'autre. Par réflexe, il ouvrit la bouche, et de la buée en sortit.

Aussitôt, il regretta de n'être pas resté bien au chaud, dans le hall d'entrée. Hélas, il était trop tard pour faire marche arrière, Harry s'éloignait déjà de l'imposante infrastructure du Centaur Theater.

Les mains dans les poches, Marcus le rejoignit d'un pas leste. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, Harry enfilait ses gants en cuir, sans se presser. Côte à côte, les deux hommes remontèrent la rue Saint-François-Xavier sans prononcer le moindre mot. Comme si ni l'un ni l'autre ne savait par où commencer. Venait seul interrompre le fil de leurs pensées le bruit sonore de leurs bottes, qui crissaient sur l'épais tapis de neige souillé par les empreintes des passants avant eux. Aux alentours, la clameur montréalaise ronronnait.

— C'est encore loin? demanda Marcus, qui ne s'habituait décidément pas à l'hiver canadien.

Harry se tourna vers lui. Un sourire amusé jouait sur ses lèvres. Marcus fronça les sourcils.

— Pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça?

— J'avais oublié à quel point tu pouvais être impatient, parfois.

Marcus roula les yeux.

— Je ne suis pas impatient, articula-t-il.

— Hum, hum.

Même si Harry regardait droit devant lui, Marcus put clairement voir que l'autre homme se retenait de ne pas lui rire au nez alors que, très franchement, il n'y avait rien de drôle. En tout cas, de son point de vue.

Il aurait voulu ajouter qu'il était tout simplement frigorifié, comme le serait toute personne saine d'esprit, sauf qu'il savait que Harry le traiterait de mauviette juste pour le plaisir de l'embarrasser. Alors, il répliqua :

— Tu sauras que je connais des personnes beaucoup plus impatientes que moi. Daisy, par exemple.

En une seconde, Harry perdit son sourire. Ses yeux, qui luisaient de malice, s'assombrirent.

— Daisy... La dernière fois que je lui ai parlé, c'était au téléphone, avoua-t-il, plus pour lui-même que pour Marcus. Elle voulait savoir où tu étais passé. C'était le lendemain de...

Il n'acheva pas sa phrase. Il n'en avait pas besoin. Marcus hocha la tête, sans prononcer le moindre mot, de peur de déranger le fil de ses pensées. Si Harry souhaitait se confier, il lui semblait naturel de l'écouter, et ce, même après tout ce temps. Ça faisait partie des choses qui ne changeraient jamais entre eux, semblait-il.

— Je ne lui ai jamais annoncé que je partais d'Aurora, poursuivit Harry. Elle n'avait que seize ans, elle n'a pas dû comprendre ce qui se passait.

— À seize ans, on n'est plus un enfant.

Harry expira bruyamment, et de la buée s'échappa de sa bouche à peine voilée par son écharpe.

— Tout de même, j'aurais pu... Je ne sais pas. Tenter de lui expliquer la situation?

Marcus aurait cru souffrir de se rappeler à quel point il s'était comporté lui aussi comme le dernier des lâches envers Daisy en se barrant du jour au lendemain, mais à son grand étonnement, il déclara d'une voix posée :

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant