trente-huit // retrouvailles

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Come Back To Me, Trading Yesterday

DÉCEMBRE 2010

Harry Quebert tritura de nouveau son nœud papillon de sa main tremblante. Rien à faire, sa nervosité s'obstinait à vouloir battre tous les records ce soir, quand bien même s'efforçait-il de prendre de grandes respirations ou de focaliser son attention sur d'apaisantes pensées, comme la lecture d'un de ses livres préférés ou encore l'image de son bon vieux Winston.

Autour de lui, la marée humaine continuait d'affluer dans le Centaur Theatre, rendez-vous culturel très prisé à la tombée du jour par la bourgeoisie anglophone de Montréal. Ces dames et ces messieurs, ceux-ci vêtus de leurs habits les plus élégants et celles-là, de leurs robes les plus somptueuses, s'agglutinaient comme des mouches dans le hall d'entrée du théâtre, parcouru de tous côtés d'éclats de rire et de petits cris enthousiastes à peine contenus : dans moins d'une heure aurait lieu la toute première représentation des Origines du mal. La fébrilité qui agitait les admirateurs de cette œuvre magistrale depuis maintenant plusieurs mois était ce soir à son comble.

On aurait pu croire que dans pareille foule, Harry se sentirait comme un poisson dans l'eau; paré de son complet veston noir et de ses chaussures italiennes, il ne faisait pas tache dans le décor. Seulement, il ne connaissait personne et n'avait guère envie de s'abreuver de platitudes mondaines. Alors il restait là, tapi dans la cohue, les bras croisés.

Non pas que l'idée de jouer la plante verte lui plût outre mesure. Les retardataires qui patientaient devant le guichet dans l'espoir d'acheter les quelques billets restants formaient une longue file qui passait justement devant Harry, et à tout moment, on se tournait vers lui, sourire contrit mais hypocrite au visage, pour lui demander de se pousser : il bloquait le passage.

Il avait pourtant une bonne raison de rester là. Il attendait une personne pour la énième fois de son existence, et ce n'était qu'à l'entrée du théâtre qu'il pourrait l'apercevoir, aussi minimes ses chances puissent-elles être. Il savait que c'était absurde. Désespéré. Fou. Qu'importât l'adjectif, ça revenait au même.

— Harry Quebert?

Il se retourna. Ce n'était pas la personne attendue, son Messie, mais un laideron vêtu de l'uniforme du Centaur Theatre. Avec dans les mains une centaine d'exemplaires du programme de ce soir, elle le regardait avec de grands yeux pers.

Il sourit par réflexe avant de répondre :

— Oui, c'est moi.

— Votre cousine vous fait dire qu'elle vous attend. Je peux vous conduire jusqu'à elle, monsieur, si vous le désirez.

Harry se retint de rouler les yeux, c'était impoli.

— C'est que j'attends quelqu'un...

Il espérait qu'avec une telle réponse, le message passerait, mais c'était se bercer trop d'illusions :

— Cette personne a-t-elle réservé un siège près du vôtre?

— Euh non, marmonna-t-il.

Dans le meilleur des mondes, bien sûr que la personne en question aurait réservé un siège près du sien. Elle serait même à ses côtés en ce moment même, à lui catapulter œillade sur œillade avec son grand sourire enjôleur. À ses yeux, Marcus Goldman lui avait toujours fait l'effet d'un gamin qui n'aurait jamais grandi, une espèce de Peter Pan des temps modernes. Mais s'il resongeait à la soirée pendant laquelle tout avait dérapé, il sentait ses joues s'empourprer sous la honte : ce soir-là, c'était plutôt lui qui avait agi en gamin.

— Monsieur, il reste peu de temps avant le début de la pièce, insista la jeune femme, Il vaudrait mieux que vous rejoigniez votre cousine au lieu de faire le pied de grue dans le hall d'entrée.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant