2. Guerres de religion (3/3)

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Au matin, je suis réveillé dès prime [1] par des coups sourds frappés à mon chariot. Un coup d'œil vers le lit vide de Heinrich me confirme que mon compagnon a passé la nuit en ville, sans doute entre des bras aimants.

— Guillaume ? hèle la voix de Guy. Avec João, Pedro et Fabrizio, nous allons à la messe du dimanche, à la cathédrale. Tout le monde en parle au campement. L'office sera célébré par l'envoyé du pape, fraîchement arrivé de Rome, un certain cardinal Luzzi.

Je lorgne les plis de ma couverture avec un bâillement, puis la curiosité l'emporte sur ma fatigue. Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'assister au prêche d'un tel dignitaire !

— Attendez-moi, je vous accompagne !

J'enfile mes chausses, attrape le pourpoint brodé et la paire de manches à crevures conservés au fond de mon coffre pour les grandes occasions, puis hésite devant ma rapière. Après réflexion, je décide qu'en toute bienséance, mieux vaut ne pas apporter d'arme dans la maison de Dieu.

— Me voilà !

Nous partons en direction de Canterbury et rejoignons le flot qui se presse pour assister à la messe dominicale. Ce matin, le beau ciel bleu des jours précédents recule devant des nuages sombres. Nous aurons de la pluie dans la journée, sûrement. Toutefois, le mauvais temps n'entache en rien la bonne humeur de mes compagnons.

De mon côté, je ne sais que penser. J'ai passé près d'une année dans le Saint-Empire et, là-bas, tout le monde ne parle plus que de Luther [2] et de sa nouvelle vision de la religion. Depuis que ce moine a traduit le Nouveau Testament en allemand [3], les Saintes Écritures ne sont plus réservées aux gens d'Église, elles deviennent accessibles au plus grand nombre. La parole du Seigneur se répand dans les campagnes. J'ai eu moi-même une Bible de Luther entre les mains et c'est avec émotion que j'en ai lu des passages. Cette liberté nouvelle dans la Foi m'interpelle et je me sens en accord avec ceux qui se disent luthériens.

Au détour d'une conversation avec Heinrich, j'ai appris que celui-ci était converti. Abandonné à la naissance devant la porte d'un monastère non loin de Wittenberg, avec pour seule possession une gourmette en or gravée de son prénom, il a été élevé par les moines. Lorsque Luther a publié ses thèses, l'ensemble de sa confrérie s'est rangée derrière ces nouveaux préceptes. Aussi, je ne m'attends pas à le trouver à l'office ce matin. D'ailleurs, il m'a souvent affirmé qu'il avait assisté à suffisamment de messes durant sa jeunesse pour bénir toute une vie.

La cathédrale, colossale et majestueuse, dresse ses clochetons de pierre ocre au milieu de la grande place. Du haut du campanile, l'énorme bourdon de bronze appelle les fidèles dans toute la ville et la campagne environnante. Les croyants se bousculent sur le parvis pour s'engouffrer par les portes grandes ouvertes. Au-dessus du porche, les rangées de saints contemplent cette foule bigarrée de leur œil impassible. Nous nous laissons entraîner par le flot humain jusqu'à l'intérieur de l'édifice et Fabrizio nous attire vers un banc de bois encore libre. Progressivement, la cathédrale se remplit ; toutes les places sont occupées. Une bonne partie de la ville se trouve réunie ici ce matin.

Le silence s'installe. Une procession d'enfants de chœur s'avance dans l'allée centrale, porteurs de grands cierges allumés. Au-dessus de l'assemblée, un orgue majestueux les accompagne de ses notes solennelles, amplifiées par la voûte élevée. De ma lointaine position, je distingue l'éclat rouge du manteau cérémoniel du cardinal Luzzi. Un homme en soutane de velours violet se tient un peu en retrait – sans doute l'archevêque de Canterbury, le fameux Thomas Cranmer.

Poussé par la curiosité, je m'Éveille pour bénéficier d'un meilleur aperçu de la scène. La cathédrale se pare aussitôt de mille feux. Une lumière chatoyante se déverse au travers des vitraux ; ses reflets colorés valsent entre les fidèles. Des fils innombrables s'élancent depuis l'assemblée et se perdent dans les hauteurs. Ils s'agitent d'un frémissement léger, au gré de la musique et des prières. En ce lieu, la Toile délaisse sa rigidité habituelle ; elle vibre, oscille en permanence, portée par la ferveur religieuse qui habite ces pierres.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant