35. Plan de bataille (2/4)

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Au cours des jours suivants, ma situation évolue légèrement. Philippe insiste pour être vu au bras de sa future épouse et je suis donc officiellement autorisée à quitter ma chambre, toujours sous haute surveillance. Cependant, comme Niccolò n'a pas reparu, Hans se repose parfois sur mon fiancé pour garder un œil sur moi. Je suppose que jouer les éternelles ombres fidèles lui pèse quelque peu.

Je retourne au jardin à plusieurs reprises, de préférence au bras de Philippe, plutôt que sous le regard encore suspicieux de Hans. Je prends l'habitude d'échanger quelques mots avec Sabrina et Paloma, me cantonnant à des sujets mondains. Le bellâtre pousse alors de longs soupirs ennuyés et finit parfois par s'éloigner.

Dans ces rares moments loin des oreilles indiscrètes, nous pouvons discuter plus librement. J'apprends ainsi qu'une cuisinière aux nattes rousses a été récemment embauchée et qu'elle est venue leur parler de Fabrizio. Mon cœur bondit d'un élan joyeux. Geiléis ! Jamais nouvelle ne m'a fait autant plaisir.

Avec l'aide de mes nouvelles alliées, j'instaure une communication entre la gardienne et moi. Je lui transmets l'adresse de Tolomeo Monciatti, l'ami de Fabrizio, mais l'Italien ignore tout du sort de nos deux compagnons. Cette absence de nouvelles ravive mon angoisse. Même en tenant compte de notre avance grâce au dragon, Fabrizio et Pedro auraient déjà dû arriver à Venise.

De messes basses en rencontres furtives, Geiléis, madame Sánchez et moi échafaudons un plan pour échapper aux griffes de Giulia...

*  *  *

Plus de deux semaines ont passé depuis le bal et le 22 septembre, jour de mon mariage, se rapproche à pas inexorables. Je décèle dans le choix de cette date la marque indubitable de l'humour pervers de Giulia : l'astre nocturne sera de nouveau plein le jour de mes noces.

J'ai besoin de garanties, d'agrandir le cercle de mes alliés. Une idée me vient pour faire d'une pierre deux coups.

J'ouvre la porte de ma chambre – Hans ne se donne même plus la peine de la fermer à clé. Comme toujours, je le trouve dans le couloir à lire sur un tabouret.

— J'aurais besoin de parler à Madame de Gandolfi.

Il me dévisage d'une moue suspicieuse.

— À quel sujet ?

— Je suis inquiète pour mes compagnons. Je voudrais avoir de leurs nouvelles, m'assurer qu'ils vont bien. Pouvez-vous lui transmettre mon message ?

Il se radoucit et hoche la tête.

— Je lui ferai savoir.

— Et... Hans, ajouté-je avec une hésitation feinte.

— Oui ?

Je baisse les yeux comme pour cacher mon trouble.

— Pourrez-vous... rester devant la porte... quand elle sera là ? Cette femme me fait peur.

Il s'étonne un instant, puis acquiesce d'un air sérieux.

— Bien sûr. Je serai juste à côté, mais Giulia ne vous fera aucun mal, vous savez.

Il ne se doute de rien. Après tout, il m'a vu pleurer l'autre jour. Quel homme ne se porterait pas au secours d'une femme en détresse ?

Lorsque Philippe vient me chercher à l'heure du déjeuner, je simule un accrochage au passage de la porte et en profite pour bloquer le pêne avec un morceau de tissu. Je m'éloigne ensuite avec un coin de sourire satisfait. Si personne ne remarque rien d'ici à la visite de Giulia, quelqu'un aujourd'hui fera une découverte édifiante.

*  *  *

Les pas de Giulia s'éloignent dans mon dos, j'entends le léger raclement du battant qui ne se referme pas complètement. Je me force à desserrer les doigts, un à un, à respirer profondément. Ma rage reflue peu à peu. Comme je m'y attendais, ma négociation avec cette scélérate n'a pas été une partie de plaisir, mais je suis au moins parvenue à arracher un répit pour mes compagnons.

L'Italienne a accepté de retenir la Horde Sauvage en échange de mon entière coopération lors du mariage ; cette diablesse se délectait de mon attitude soumise. Un sourire narquois relève le coin de mes lèvres. Cette fois, je n'ai aucunement l'intention de tenir ma promesse et cette discussion avait un autre but dont elle est bien loin de se douter.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now