30. Un funeste cadeau (3/3)

173 46 122
                                    

Nous partons vers le nord en remontant les berges de l'Isère puis de l'Arly, vers la dentelle des pics enneigés. Au fil des jours, les routes caillouteuses se rétrécissent. Bientôt, nous devons nous rendre à l'évidence : les chemins deviennent impraticables pour nos chariots. Nous perdons beaucoup de temps à leur dégager un passage ou à les pousser dans les pentes.

La mort dans l'âme, nous nous résignons à les abandonner dans une combe reculée, dissimulés par des branchages et une illusion Tissée par João. Elle s'étiolera avec le temps, mais nous ne pouvons rien accomplir de plus. Nous n'emportons que les mules, l'étalon, le reste de nos provisions et le strict nécessaire.

À chaque village, Geiléis interroge les montagnards sur les anciennes légendes, sur une caverne dotée d'une sombre réputation, mais les braves gens secouent la tête d'un air désolé. Les récits se sont transformés au fil des ans. Le paysage a changé. Les repères ont disparu. Geiléis n'a qu'une certitude : l'entrée se trouve sur les flancs du toit du monde, nappé de sa blancheur éternelle.

Le matin du 24 juillet, nous reprenons la route, le cœur lourd. La lune atteindra son plein sur la fin de cette nuit. Au cours de la journée, Geiléis reconnaît enfin, dans les langues de glace qui lèchent les flancs de la montagne, les images qu'elle recherche depuis des jours. Soutenus par l'espoir, nous nous enfonçons dans une vallée perchée où coule un torrent tumultueux.

Le chemin se révèle plus long et plus raide que nous ne l'imaginions. Guy descend de cheval et tient l'étalon par la bride. Avec ses pattes fines, le pauvre animal peine à avancer sur le terrain escarpé tandis que nos mules progressent d'un pas placide sous leurs lourds paniers. Le soleil capuchonne déjà de rouge les pics montagneux lorsque nous débouchons sur le plateau où trois pauvres masures de pierres sèches se blottissent au bord du torrent.

Éreintés par l'ascension, nous frappons à la première porte. Le berger, un solide gaillard dans la force de l'âge, ouvre des yeux ébahis devant notre étrange troupe, mais nous accueille sans façon pour partager avec lui le repas du soir.

Assis à même le sol de terre battue, nous mangeons la bouillie d'avoine préparée par Geiléis dans un silence de mausolée. Malgré la fatigue de la marche, chaque bouchée se loge comme une pierre au fond de mon estomac. L'esprit hanté par la nuit à venir, je dois me forcer pour avaler.

— Eh bien, c'est fini, conclut João d'une voix sombre et râpeuse. Nous n'avons pas trouvé.

— Nous aurons au moins essayé, soupire Guy, résigné. Nous ne devrions pas rester chez ce brave berger. Inutile d'attirer sur lui toute la Horde Sauvage. Ce serait fort mal le remercier de son hospitalité.

— Nous y sommes presque, j'en suis sûre, murmure Geiléis. J'ai reconnu les signes ! Si seulement nous avions une journée de plus.

— Le Grand Veneur ne nous dénichera peut-être pas au fond de ce trou perdu ? suggère Heinrich.

— Je ne crois pas que cela ait une quelconque importance pour lui, remarqué-je, sans même relever sa plaisanterie douteuse.

— Non, je n'abandonnerai pas maintenant ! lance Geiléis en se levant d'un coup.

Elle va trouver le berger qui termine son repas un peu à l'écart.

— Dites-moi, brave homme, connaîtriez-vous une légende qui parle d'une profonde caverne ? D'une grotte qui s'enfonce sous la montagne ?

Le montagnard secoue la tête d'un air désolé.

— Point d'cela, m'dame. J'connaissons rin d'tel. J'avons pas trop la tête aux légendes, vous savez. J'avons bin assez à faire avec les moutons !

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now