12. Tempête (1/3)

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João me secoue avant même le lever du soleil. J'émerge des brumes du sommeil avec un curieux sentiment de vide, de silence, d'absence. J'ai d'abord du mal à discerner l'origine de cette impression, puis la cause de mon trouble m'apparaît dans toute son indéniable évidence. Cette nuit, pour la première fois depuis des mois, le rêve et ses voix obsédantes n'ont pas perturbé mon repos.

Dehors, le vent souffle en rafale. Les ténèbres reculent devant l'arrivée timide du jour, mais les nuages transforment le ciel en un tapis moutonneux d'un gris sombre annonciateur de pluie.

Fabrizio et João mettent déjà les chariots en branle. Nous devons atteindre les quais avant les premiers rayons du soleil, si nous voulons embarquer. Le capitaine Rocheclair a bien insisté la veille sur ce point. Il souhaite profiter du jusant juste après l'étale pour la sortie du port.

Je rejoins Heinrich sur le banc de bois en bâillant à me décrocher la mâchoire et lui pose aussitôt la question qui me taraude.

— As-tu fait le rêve habituel cette nuit ?

Il écarquille un peu les yeux et secoue ses boucles.

— Maintenant que tu m'y fais penser, non. J'ai bien dormi, pour une fois. La fatigue, peut-être ? Après toutes ces danses... termine-t-il avec un clin d'œil appuyé.

Il hausse les épaules sans plus se soucier de ce mystère, mais je ne peux m'empêcher de m'interroger. Est-ce un hasard si la disparition du rêve coïncide avec l'arrivée de Geiléis ?

Nos chariots descendent sur le sentier vers la ville avec une lenteur prudente. Dans le noir, nous ne voulons pas risquer qu'une de nos mules trébuche et se blesse. Je remarque au bout d'un moment qu'une fine silhouette marche derrière nous au même pas et cette observation m'allège le cœur. João finit par se rendre compte également de cette présence silencieuse.

Il l'apostrophe d'une voix sèche.

— Geiléis ! Que faites-vous ici ?

— Pardi, je vais à Douvres, bien sûr ! répond-elle d'un ton faussement étonné. La route appartient à tout le monde, il me semble.

— Il n'y a pas de place pour vous avec nous ! insiste le Portugais, d'une voix âpre entre ses dents serrées.

— Je crois que vous me l'avez déjà dit, rétorque-t-elle avec un reniflement agacé.

La conversation se clôt sur ces paroles. Sans véritable raison logique, la présence feutrée de la gardienne me rassure. Je reste persuadé que sa place est parmi nous. Quels que soient ses projets, je compte bien garder l'œil ouvert.

En débouchant sur le port, je reconnais la silhouette arrondie de l'Écume de Mer. Le capitaine nous attend de pied ferme sur le ponton, le chapeau vissé sur la tête, pendant que les marins s'affairent sur le pont. João saute au bas du chariot et je le rejoins aussitôt. J'en profite pour jeter un coup d'œil discret derrière nous. Geiléis a disparu. Où est-elle passée ?

Rocheclair accueille le petit Portugais d'une solide poignée de main. Je suis rassuré de le trouver bien plus alerte que la veille. Il semble avoir dessoûlé durant les quelques heures de nuit.

— Je ne sais pas si je vais prendre la mer aujourd'hui, finalement, annonce-t-il sans préambule. Le vent se lève. Un gros grain approche.

Mon cœur manque un battement à cette idée, mais João ne l'entend pas de cette oreille.

— Quelques vagues fortes ne nous font pas peur, rétorque-t-il, agacé. Votre navire m'a l'air taillé pour supporter un peu de mauvais temps.

Le capitaine hausse les épaules.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now