14. Unis pour une quête (3/3)

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Mon cœur manque un battement. Il est fou, complètement inconscient ! Qu'espère-t-il donc accomplir, à peine remis de sa blessure ? Je retiens mon souffle. Un instant surpris, le chef de la bande s'approche, un sourire mauvais plaqué au-dessus d'une rangée de dents jaunies.

— En voilà un qui ne demande qu'à recevoir une bonne leçon, on dirait !

Malgré sa position défavorable, le Français tient tête au colosse avec une crâne assurance. Je me mordille la lèvre. Si toute la bande lui tombe dessus, il va se faire rosser en beauté – en espérant que le chef ne l'embroche pas d'abord. Je tâtonne derrière moi sans oser détourner les yeux. Où donc ai-je rangé ma rapière ?

João me devance. Il saute à terre, épée au poing – une lame solide, forgée pour le champ de bataille –, et se place aux côtés de Guy. Le fil tranchant parfaitement entretenu luit sous la bruine.

— Je suivrais bien quelques cours, moi aussi.

Gémissant intérieurement, je plonge la main sous la toile du chariot. Mes doigts se referment enfin sur une poignée familière. Mes récentes leçons n'ont servi qu'à m'ouvrir les yeux sur l'étendue de mon ignorance, mais je ne peux laisser mes amis affronter seuls ces brigands. En un bond, je me retrouve les pieds dans la boue, lame au clair.

— Avec un peu de chance, les leçons s'adapteront pour trois.

J'affiche un air que j'espère menaçant. Le larron à la cicatrice marque un temps d'arrêt et pousse une exclamation de colère. Un chuintement de bottes derrière moi accompagne l'arrivée de Heinrich qui m'épaule avec sa nonchalance habituelle. Il pointe son coutelas vers le coupe-jarret.

— Eh, l'affreux ! raille-t-il. Je pourrais te décorer l'autre joue à l'image de la première !

Le gaillard montre les dents et recule d'un pas.

— Qu'espérez-vous ? lance-t-il avec la hargne d'un roquet acculé. Nous sommes quinze contre vous quatre !

— Cinq ! contredit la voix grave de Pedro.

L'Espagnol tient en main un solide bâton noueux. Son arme est peut-être moins impressionnante que nos épées, mais sa forte carrure et son air d'ours belliqueux valent tout l'acier de Tolède.

Le chef des malandrins se retourne vers ses hommes qui n'ont pas bougé d'un pouce.

— Qu'attendez-vous, vous autres ? Nous sommes bien plus nombreux ! Sus !

Pas un ne bronche. J'en vois même quelques-uns qui reculent discrètement. Ils n'avaient pas anticipé une telle opposition et visaient plutôt des proies faciles, sans défense.

Le chef sent que la situation lui échappe, mais il ne peut se replier sans perdre la face. Avec un hurlement de rage, il se précipite, l'arme levée. João bondit à sa rencontre, se baisse au dernier moment, passe sous la garde. Le truand lance son épée dans un violent coup de taille. Le Portugais lui enfonce son épaule dans le ventre. Le bandit recule en titubant, sans broncher. Il dépasse son adversaire d'une bonne tête et doit peser au bas mot une trentaine de livres de plus.

Pendant que les deux combattants s'observent, mes compagnons se déploient avec une lenteur prudente, les yeux rivés sur le reste de la bande. Je serre la poignée de ma rapière à m'en blanchir les jointures ; mon cœur m'encourage d'un martèlement de côtes. Si nous nous ruons tous à l'assaut, nous risquons de déclencher la curée. Malgré nos armes, je ne suis pas certain que nous ayons le dessus. Pour le moment, les pillards hésitent encore. Un rien peut les faire basculer. Notre sort est tacitement suspendu à l'affrontement qui se joue devant nous.

Ayant eu le privilège d'admirer João à l'œuvre, je ne remets pas en doute sa maîtrise de l'épée. Toutefois, la taille de son adversaire ne pèse pas en sa faveur. Je me tiens prêt à lui voler en aide.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now