32. Double jeu (2/2)

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J'ai l'impression de remonter des profondeurs abyssales vers la lumière. Que fais-je ici ? Je peine à raccrocher mes souvenirs flous. J'ai toujours le bandeau sur les yeux et les bras ligotés, tordus dans mon dos. Une brûlure cuisante émane de mes poignets. Cette fois, le tissu doux et moelleux sous moi reste parfaitement immobile. Les derniers événements me reviennent par bribes. Nous nous sommes fait piéger comme des idiots !

Giulia nous tient en son pouvoir. Elle possède les sept reliques, le grimoire. Tout est perdu ! Nous avons échoué. Le désespoir ricane aux portes de mon esprit, je le repousse avec fermeté. Je ne m'avouerai pas vaincue ! Où suis-je ? Le silence m'enveloppe. Si seulement je pouvais voir, je pourrais m'Éveiller, agir !

Impossible de me relever avec les mains attachées dans le dos. Je roule sur moi-même et chute brutalement sur un sol dur. Ma tête heurte le plancher. Un éclair blanc traverse ma vision et je manque de perdre connaissance. D'un pivot sur le côté, je parviens à ramener mes genoux sous moi et à me redresser sur des jambes flageolantes. Je titube au hasard, percute une surface dure – un mur sans doute. Je le longe, l'épaule collée. Quelque chose s'accroche à ma manche.

Je me baisse et tente d'arracher mon bandeau sur l'aspérité. Après plusieurs essais infructueux, je réussis à agripper le tissu et à dégager un œil. J'y vois, enfin ! Les rayons du soleil entrent à flots par une haute fenêtre. Je suis à genoux devant la poignée dorée d'une porte.

Je me relève péniblement et cligne des yeux sous la lumière agressive. Le sol oscille, comme si je me trouvais sur un navire dans la tempête. Les effets de la potion de Giulia ne sont pas complètement dissipés. Je réprime un haut-le-cœur. Mon regard balaie la chambre luxueuse, le grand lit à baldaquin sur lequel j'étais allongée, les quelques meubles sculptés. Je suis seule !

Je tente de m'Éveiller, mais ne parviens pas à me concentrer. Des visions fugaces de la Toile me narguent sans que je puisse distinguer clairement le moindre fil. Je tords mes poignets en tous sens sans autre résultat que de labourer un peu plus ma chair. Le nœud est bien trop serré. Tant pis ! Je dois filer d'ici avant que Giulia ne revienne. Dos à la porte, je tâtonne pour attraper la poignée, la tourne entre mes doigts. Le battant s'ouvre. J'adresse une prière de remerciement silencieuse au Bon Dieu.

Je sors dans un couloir recouvert d'un long tapis. Une rangée de portes fermées s'alignent comme des petits soldats. Personne en vue ! Un escalier descend plus loin sur ma droite. Une bouffée d'espoir me tourne la tête. J'avance d'un pas malhabile dans cette direction.

Je débouche en haut des marches, nez à nez avec Giulia et le faux Heinrich qui montent l'escalier en devisant. Le jeune homme ouvre des yeux hallucinés. L'Italienne laisse échapper un hoquet de surprise.

— Comment cette garce est-elle sortie de sa chambre ?

Mon cœur bondit dans un sursaut de panique. Je tourne les talons et repars en vacillant d'où je viens. Je tente de courir, mais les murs se penchent pour me barrer le passage. Je me cogne, titube. Une poigne de fer se referme sur mon épaule. Un affolement attisé par un cruel sentiment d'échec s'empare de mes lambeaux de raison. Je me débats comme une furie, lance des coups de pieds, pousse des cris de rage. Une main s'abat violemment sur mon visage. Ma tête heurte une surface dure. Je m'effondre.

*  *  *

Quand je reviens à moi, je suis à nouveau dans la chambre, allongée sur le lit. Je n'ai plus le bandeau sur les yeux, mais mes mains sont toujours attachées, coincées sous mon dos. Mes poignets protestent en élancements vigoureux et un troupeau de chevaux me martèle le crâne. La joue me cuit encore.

Le visage de Giulia, encadré de sa longue chevelure brune, se penche au-dessus de moi avec un sourire narquois.

— Cela ne va pas du tout, ma chère, nous ne pouvons pas passer notre temps à te courir après.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant