28. Un secret, révélé ? (2/3)

80 32 46
                                    

 Nos regards se croisent, je retiens mon souffle. Philippe se contente de plisser les yeux. Il se tait et le roi continue de s'entretenir avec Guy. Comment vais-je me sortir de ce guêpier ?

— Mais dites-moi, Monsieur de Tréveray, quelles nouvelles apportez-vous de la mission dans laquelle vous étiez engagé ? interroge le souverain. Avez-vous retrouvé l'objet précieux dérobé au Louvre, dont la disparition chagrinait tant Monsieur le Vicomte de Troyes ?

— Hélas non, sire. Je n'ai que des suspicions quant à l'identité des voleurs et n'ai pas encore réussi à recouvrer ce trésor inestimable. Cependant, au cours de ma mission, j'ai découvert fortuitement un livre fort ancien et précieux qui aurait bonne place dans votre collection. Il mériterait d'être mis en lieu sûr pour écarter les convoitises. Avec votre permission, sire, je pourrais m'entretenir avec Monsieur de Troyes pour convenir d'un lieu et d'une protection adéquats.

François, qui écoutait d'une oreille distraite en compulsant les rangées de chiffres alignés sur une feuille de papier, relève soudain la tête avec intérêt.

— Un livre ancien, dites-vous ? Par le plus grand des hasards, cet ouvrage aurait-il un rapport avec celui que le roi Henry fait rechercher dans tout le royaume d'Angleterre ?

Guy blêmit à ces mots et son trouble n'échappe pas à l'œil perçant du souverain. Celui-ci écarte le bras d'un geste dédaigneux.

— Je ne tiens pas à connaître les détails qui vous ont conduit en possession de ce grimoire et me soucie peu de l'émoi de ce cher Henry. Il n'a guère prêté d'oreille attentive ces dernières années à mes propres démêlés avec Carlos d'Espagne.

Mon compagnon laisse échapper un discret soupir de soulagement.

— Cependant, poursuit le roi, je suis plus chagriné par l'inquiétude de notre Saint-Père Clément au sujet de ce même ouvrage. Ce serait fort mauvais augure que de me fâcher avec l'Église juste avant de partir en campagne.

Philippe s'avance de quelques pas et s'incline respectueusement.

— Sire, si vous le permettez, j'aimerais suggérer une solution qui pourrait contenter tout le monde, intervient-il de sa voix doucereuse de baryton. Le pape Clément sera ravi de retrouver ce livre et de le ramener dans le giron de notre sainte Église. Il versera sans doute une généreuse récompense en échange. Comme je vous le disais tantôt, nos caisses sont malheureusement vides, avec cinquante ou peut-être même cent mille ducats, nous pourrions acheter les services des cinq mille piquiers suisses qui vous manquent.

— Cent mille ducats ! s'exclame le roi, les yeux brillants. C'est, ma foi, une fort belle somme. Le pape tient donc à ce point à ce livre ?

— C'est que je me suis laissé dire, sire, et vous conviendrez sans doute que ce grimoire ne saurait être entre de meilleures mains que celles de notre Saint-Père.

Un sourire radieux illumine la figure de François.

— Excellente idée ! Cela résout votre problème, Monsieur de Tréveray. Nous confions cet ouvrage entre les mains de la sainte Église qui en prendra soin et le préservera du mal. Vous êtes alors libre de joindre votre épée à mon armée. L'or du pape me permettra de louer les services d'un contingent suisse et je vous en donnerai le commandement. Qu'en dites-vous ?

Une brusque tension noue les muscles de mon compagnon, mais il parvient à conserver bonne figure. Il s'incline devant le roi avec une grâce un peu raide.

— Il en sera ainsi que vous le désirez, sire.

— Alors c'est entendu, conclut le souverain, joignant les doigts avec satisfaction. Rapportez-nous donc ce précieux grimoire. Je vais écrire de ce pas à Rome !

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant