23. La cruelle loi du choix (2/3)

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Lorsque j'émerge à nouveau des brumes, mon mal de tête a disparu. Je me sens presque en forme. Je regarde autour de moi. Heinrich est assis sur la paillasse voisine.

— Eh ! Tu es réveillé ! s'exclame-t-il d'un ton joyeux en découvrant mes yeux curieux posés sur lui.

— Geiléis est repartie ?

Heinrich bombe le torse et secoue la tête dans une volée de boucles.

— Quoi, tu n'es pas content de me voir ? proteste-t-il, faussement offusqué. Elle est allée cueillir des plantes dans la forêt, avec João en garde du corps. Tu sais, ça fait trois jours et trois nuits que nous nous relayons dans ce chariot minuscule.

Avec un rictus confus, je prends conscience du temps qu'il m'a fallu pour me remettre, de l'inquiétude dans laquelle ils devaient être plongés. Je me remémore les affres de ma propre angoisse lorsque Guy était blessé, et pourtant, cela n'a duré qu'à peine une journée.

— Désolé, m'excusé-je, un peu gêné.

— Bah, ce n'est rien, balaie-t-il d'un haussement d'épaules, l'important, c'est que tu ailles mieux.

Il vient s'asseoir au pied du lit et me tapote la jambe avec un sourire amical. Je me rends compte que la roulotte, complètement immobile, ne s'accompagne ni du grincement des essieux ni des heurts réguliers des sabots.

— Où sommes-nous ? Nous n'avançons pas ?

— Nous avons monté le camp à deux heures de marche de Chartres environ, en pleine forêt. Après ton retour, nous avons tout de suite mis un peu de distance entre nous et fra' Torque, mais Geiléis ne voulait surtout pas que tu sois secoué par les cahots. Nous n'avons pas pris le risque de voyager.

— Pas de signe de nos ennemis depuis ?

— Rien du tout ! Nous sommes au milieu de nulle de part. À part les oiseaux et les écureuils, nous ne craignons pas d'être dérangés. João voulait éviter qu'un paysan zélé aille nous dénoncer au bailli local.

Il se penche, les yeux dévorés de curiosité.

— Bon, raconte un peu : que s'est-il passé à Chartres ? Quand je me suis retourné à un moment pendant notre fuite, Guy était derrière moi, mais Fabrizio et toi n'étiez nulle part en vue. João nous a ordonné de regagner le campement au plus vite. Il est revenu sur ses pas pour vous chercher, mais n'a trouvé aucun signe de vous. Aux alentours de chez Samuel, le coin fourmillait de gardes. Il n'a pas osé s'approcher et il est rentré à son tour. Nous pensions qu'ils vous avaient capturé. João et Guy ont décidé de déplacer les chariots, par précaution. Pedro était dans tous ses états ! Je ne l'avais jamais vu aussi catastrophé. Il est parti vous guetter sur le chemin, malgré les injonctions des deux autres. C'est lui qui vous a aperçus le premier. Tu n'avais vraiment pas bonne mine quand tu es arrivé.

Il conclut son récit sur un ton sérieux qui contraste avec son naturel enjoué. Mes propres souvenirs restent très parcellaires. Je fouille ma mémoire pour y dénicher les derniers événements.

— J'étais à la traîne... Je suis tombé nez à nez avec Torque. Il n'était pas avec les gardes. Il a dû sentir le Tissage de João... J'ai pris la fuite, mais il m'a eu d'un coup de dague dans le dos... Je ne me souviens pas de beaucoup plus. J'ai essayé de me battre, mais...

Je m'interromps sur une pensée subite, le ventre noué d'angoisse.

— Ma rapière ! Où est ma rapière ?

Je me redresse sur un coude et fouille du regard autour de moi avec une fébrilité explosive. La douleur se réveille aussitôt dans mon dos, mais j'y prête à peine attention. Heinrich se précipite.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now