14. Unis pour une quête (1/3)

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Nous partons tôt le lendemain sous un ciel aussi couvert que mon humeur. Une brise chargée d'humidité secoue les branches des arbres, s'infiltre sous le pan de ma cape et pique ma peau de chair de poule. J'ai connu des mois de mai plus gais. Assis à côté de Heinrich, je rumine les événements de la soirée avec une morosité à cailler du lait fraîchement tiré. L'Allemand finit par s'agacer de mon silence.

— Enfin, que se passe-t-il, Guillaume ? Tu broies du noir depuis ce matin ! Regarde : il ne pleut plus, nous voyageons à l'aventure et pour couronner le tout, nous sommes en compagnie d'une jolie fille !

Du pouce, Heinrich indique l'intérieur de notre carriole où Geiléis inventorie ses fleurs et herbes séchées.

— Ce n'est rien. J'ai mal dormi, c'est tout.

— À d'autres ! Allons, déballe ton sac. Tu verras, tu te sentiras mieux après !

Je pousse un soupir à fendre l'âme puis vérifie du coin de l'œil que la gardienne reste absorbée dans sa tâche.

— C'est juste que... je ne comprends pas pourquoi João et Fabrizio n'ont pas confiance en Geiléis, réponds-je en hésitant, un ton plus bas.

— Oh, notre ami portugais a toujours été d'une méfiance maladive, philosophe Heinrich d'un haussement d'épaules. C'est vrai que cela m'étonne du vieux Fabrizio. Il est plus ronchon que d'habitude. Toute cette histoire lui pèse sur les nerfs !

— Enfin, après tout ce qu'elle a accompli pour nous, je trouve déplacé de mettre en doute ses intentions. Regarde ! Elle a même accepté le maudit choix des spriggans et cela n'avait pas l'air facile pour elle !

Je songe à ma discussion au bord du lac et aux traces humides sur les joues de la gardienne. Un serment, brisé ? Quelle est donc cette promesse mentionnée par ces créatures néfastes ?

Le cours de mes réflexions est brutalement interrompu par l'exclamation agacée de Heinrich.

— Ah, parlons-en du choix des spriggans ! Tu y as compris quelque chose, toi ?

— Geiléis m'a expliqué en partie. Nous avons tous eu la vision d'un moment de l'avenir où un choix s'offrirait à nous. Selon ce que nous déciderons à cet instant précis, nos vies prendront un tournant décisif.

Je pousse un long soupir démoralisé.

— Je suis d'accord, concédé-je, ce n'est pas très clair pour moi non plus.

— Je ne sais même pas ce que je dois choisir ! s'offusque Heinrich. Une famille retrouvée ? Où est le choix là-dedans ? Soit je la retrouve, soit je ne la retrouve pas, mais je ne vois pas où ma décision intervient dans l'affaire ! Et ce n'est pas cette maudite vision qui va m'aider à comprendre quoi que ce soit. Sais-tu ce que j'ai vu ? Moi, juste moi ! Enfin, mon reflet dans un miroir ! Et je tenais une épée à la main. Ridicule ! Je ne sais même pas me servir d'une telle arme !

Je secoue la tête en signe d'impuissance.

— Je ne peux pas t'aider, j'ai aussi du mal à interpréter ma propre vision. D'après Geiléis, tout deviendra clair le moment venu et il ne faut pas essayer de deviner l'avenir.

— Et toi, qu'as-tu vu ?

À cette question, je plonge dans les lacs innocents de ses yeux. Il m'observe, plein d'expectatives, la tête légèrement inclinée sur le côté ; ses boucles blondes encadrent son visage d'une auréole. Il a partagé sa vision en toute franchise et s'attend à ce que je fasse de même. Je déglutis.

— J'ai vu un ennemi, avoué-je à mi-voix, un ennemi qui me regardait.

L'air devient soudain plus lourd et plus froid, je resserre le pan de ma cape.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant