25. Le souffle de Dieu (3/3)

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Nous partons sur le chemin dans une lenteur poussive. Heinrich et moi soutenons Guy de chaque côté. Il marche avec peine, vidé de ses forces, sur le point de s'écrouler. Je ne vaux guère mieux. Les élancements de mon ancienne blessure sont revenus à un niveau supportable, mais je me sens la tête légère et dois me concentrer pour placer un pied devant l'autre sans trébucher.

Le sentier longe le bord de la combe. Il me semble entendre des voix lointaines qui murmurent entre les arbres et me secouent de frissons.

Un bruit de sabots perce la nuit devant nous. Mes muscles se raidissent. Un cheval blanc apparaît sur le chemin, baigné d'argent de lune. Sur son dos, une fine silhouette auréolée de feu pousse une exclamation soulagée. Geiléis s'arrête près de nous et je me rends compte qu'elle monte l'étalon à cru, sans selle ni bride. L'animal lui obéit comme la plus docile des juments.

La gardienne saute à terre d'un bond leste et m'étreint dans un élan joyeux.

— Dana soit louée ! Vous êtes vivants ! s'exclame-t-elle.

Puis elle se tourne vers Heinrich et l'enserre à son tour. Le sourire béat qui illumine le jeune Allemand vaut tous les baumes du monde et lève une partie du poids sur mon cœur.

— Vous êtes blessés ? s'effare Geiléis en découvrant nos tenues maculées.

Heinrich la rassure d'une dénégation de la tête.

— Nous n'avons rien. Ce sang n'est qu'un effet étrange du souffle du Dieu. Il suinte de nos anciennes blessures.

Au rictus crispé sur les lèvres de Geiléis, je devine que cette explication ne la convainc qu'à moitié.

— Que s'est-il passé ? Quand vous avez rompu le Tissage, j'ai craint le pire.

— Des chasseurs nous ont pris à revers, rapporté-je, mais nous te raconterons cela plus tard. Peux-tu ramener Guy au campement ?

Le Français vacille à côté de moi, les yeux dans le vague. Notre courte marche l'a déjà épuisé. Lorsqu'il entend mes paroles, il tente de protester, mais Geiléis le dévisage un instant avant d'opiner d'un mouvement ferme du menton. Elle s'approche de l'étalon, murmure à son oreille en lui caressant l'encolure. À mon plus grand étonnement, le cheval s'agenouille docilement.

Nous aidons Guy à s'installer sur son dos et Geiléis monte derrière lui. La gardienne émet un léger sifflement, une sorte de chuintement doux ; l'étalon se redresse.

— En route, Doineann ! [1]

La monture les emporte sur la piste ; ils disparaissent, avalés dans la nuit. Heinrich et moi reprenons notre cheminement trébuchant en silence. Nous n'avons pas de forces à gaspiller en vaines paroles ; la simple présence d'un compagnon à mes côtés me réconforte. Nous nous soutenons l'un l'autre tout au long de la descente de l'étroit sentier escarpé et débouchons, chancelants, près du campement où crépite un feu accueillant.

Seuls près du foyer, Fabrizio et Pedro discutent à mi-voix. Ils se lèvent avec un empressement affolé en nous voyant débarquer, éreintés et ensanglantés. Heinrich les rassure en quelques mots. Pendant ce temps, je vais plonger mes mains dans le torrent glacé qui coule à quelques pas de là. L'eau vive emporte les marques rouges sur mes bras. Les visions apportées par le souffle de Dieu commencent à s'estomper dans mon esprit, lavées en même temps que le sang par l'onde pure. Une grande lassitude m'envahit.

Je reviens au campement d'un pas traînant au moment où Geiléis ressort du chariot de Guy et João. Je me fige sur place. Qu'est-il advenu du Portugais ? Il n'était pas près du feu. Quel imbécile je suis ! Je n'ai même pas demandé de ses nouvelles ! Je me précipite vers la guérisseuse, un nœud douloureux au ventre. Je prends conscience de ses habits déchirés, du regard las qu'elle m'adresse. Nous avons repoussé la Horde, ce soir, mais à quel prix ?

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now