17. Visite parisienne (1/2)

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 Au matin, je tourne en rond pendant que Fabrizio et João se préparent à partir pour Paris. Je les regarde à la dérobée avec une envie blottie au creux du ventre. L'idée de passer la journée coincé dans ce petit village à ruminer des pensées aussi sombres qu'une nuit sans lune me hante à l'avance. Je n'ose cependant quémander la permission de les accompagner de peur de me faire vertement rabrouer. Notre chef de troupe n'a pas démontré une humeur très conciliante ces derniers jours et ses sourcils hérissés ne me disent rien qui vaille.

L'Italien souhaite se rendre aux halles de bonne heure pour profiter des arrivages du jour. Pedro harnache sur le dos de Bella deux grands paniers d'osier et je l'aide à serrer la sangle. Comme la mule renâcle un peu, je lui caresse le chanfrein en lui glissant quelques mots apaisants à l'oreille.

— Tout doux, ma belle. Tu vas partir faire une petite balade.

L'animal se calme au son de ma voix et cesse de piaffer. Fabrizio invite l'Espagnol d'un large moulinet du bras.

— Pedro ! J'aurai besoin de toi pour charger les provisions ! Tu viens avec nous.

L'Espagnol reçoit l'ordre avec un sourire réjoui, puis croise mon regard envieux. Il paraît deviner mon aspiration et m'adresse un clin d'œil.

— Guillaume pourrait nous accompagner, propose-t-il de son timbre enjoué. Il sait y faire avec Bella et, dans l'agitation des rues, je serai content d'un coup de main pour retenir la mule !

Je lève vers Fabrizio des yeux luisants d'un espoir encore fragile. Il me considère en tiraillant sa barbichette. Une ombre traverse son regard et je crois qu'il va refuser.

— S'il te plaît, imploré-je. Je t'obéirai en tout point. Tu n'auras pas à te plaindre de moi !

Il pousse un soupir résigné, tourne les talons et s'éloigne en agitant les mains au-dessus de sa tête.

— C'est d'accord ! cède-t-il. Guillaume vient aussi !

Mon cœur s'élance d'un bond joyeux. Je vais pouvoir employer ma journée autrement qu'à me morfondre sur mes décisions passées et leurs conséquences.

— Merci Pedro, glissé-je à l'oreille de l'Espagnol.

Je reprends donc la direction de Paris, la bride de Bella à la main, en compagnie du chef de la troupe, de notre palefrenier et de João. J'ai remisé les beaux habits de la veille au fond de mon coffre, soigneusement pliés pour ne pas les froisser, et renfilé mon vieux pourpoint usagé. Comme nous allons juste faire quelques emplettes, je laisse également ma rapière au campement. Aujourd'hui, nous restons de simples voyageurs qui préfèrent ne pas attirer l'attention.

Les portes franchies, nous longeons la rue Montmartre qui nous conduit tout droit jusqu'aux grandes halles. Ce gigantesque marché au cœur de la capitale grouille d'une vie animée, pleine de cris, de caquètements, d'appels, d'invectives et de fermes tractations. Trois longs bâtiments et d'innombrables boutiques entourent le carreau central. Toutes sortes de denrées s'y négocient : du grain, du lait, de la farine, mais aussi du textile, des chaussures, de la mercerie et bien d'autres marchandises encore. Les étals débordent jusque dans les rues avoisinantes.

La foule se presse et nous bouscule avec l'avidité d'un monstre démesuré muni de milliers de bouches, bras et jambes qui s'agitent dans la plus grande confusion. Je serre la bride de Bella d'une main ferme, de peur qu'elle ne s'emballe. Pedro ouvre la voie avec ses épaules de bûcheron, Fabrizio le suit de près tandis que João ferme la marche.

L'Italien nous entraîne sous des galeries à arcades pour déboucher sur le carreau. Sur cette grande place, les fermiers des environs vendent les produits des terres qu'ils entretiennent. Le chef de la troupe passe devant les commerçants, négocie, compare, discute, argumente. Au bout d'une heure de ce manège épuisant, il grommelle.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now