25. Le souffle de Dieu (2/3)

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Des bras me secouent. Les voix punitives sont parties.

— Guillaume ! Guillaume ! C'est fini !

J'ouvre les yeux, hagard. Je suis roulé en boule, au bord du promontoire, la gorge en feu. À genoux devant moi, Heinrich me dévisage d'un air effaré.

Je me relève en titubant, encore un peu hébété. Les visions d'horreur peinent à s'estomper ; je tremble de tous mes membres. C'est donc cela, le souffle de Dieu ? Ces fantômes vengeurs qui font renaître mes pires cauchemars ? Je regarde autour de moi. Les cavaliers et leurs chiens ont disparu sans laisser de traces. La trame scintillante du Tissage envahit la combe. Des brins dorés pendent, brisés, au bord de gouffre. Heinrich a rompu les fils qu'il tenait.

— Guillaume ? Ça va ? demande mon compagnon avec une insistance inquiète.

Je ne réponds pas. Tout le sang se retire de mon visage. Je contemple avec horreur la désolation semée dans la vallée. Nous sommes les artisans de ce mal. Là-bas, tout en bas, Guy lutte aux prises avec la chasse, soumis à la punition divine du souffle.

— Guy ! crié-je de toutes mes forces.

Seul le silence me répond. L'affolement s'empare de mes sens, balaie toute pensée sur son passage. Je pars en courant vers le bout de la combe. Les visions d'horreur me hantent encore ; mes jambes me soutiennent à peine. Je chancelle le long du sentier, zigzague tel un ivrogne. Mes pieds trébuchent sur les cailloux et je me raccroche aux arbres ras pour ne pas m'étaler à terre. Mon cœur cogne comme un fou pour m'exhorter à aller plus vite.

— Guy !

Je débouche, à demi égaré, à l'endroit où la vallée se referme. Un étroit sentier escarpé permet de rejoindre le fond de la combe. Le Français prévoyait d'échapper au Grand Veneur par cette issue. Mes yeux fouillent fébrilement les buissons alentour à sa recherche, en vain. Le flot scintillant du Tissage recouvre le chemin à une toise devant moi. Guy est perdu quelque part au milieu de ce cauchemar, immobilisé peut-être par des visions terrifiantes, à la merci des chasseurs. Mes pensées deviennent limpides tout d'un coup. Je serre les poings, prends une inspiration et avance d'un pas.

Une main sur mon épaule me retient.

— Toi, tu restes ici, intime Heinrich d'un ton qui n'admet pas de discussion. Moi, je vais chercher Guy.

— Mais...

— C'est non négociable. Tu n'arriveras jamais à le porter. Tu tiens déjà à peine debout.

Heinrich s'avance d'un pas résolu vers les mailles dorées qui entravent le chemin. Les fils du Tissage cèdent les uns après les autres et claquent dans les airs. La trame tout entière menace de se rompre. Le jeune Allemand se glisse par l'une des déchirures. Il chancelle sous les assauts du souffle ; mon ventre se rebelle d'angoisse. Comment peut-il résister à l'horreur des voix assassines ? Il hésite le temps d'un balancement de tête, puis s'engage sur le sentier. Au bout de quelques pas, il disparaît à ma vue.

Mes jambes se dérobent sous moi ; je m'affaisse sur le chemin. Des tremblements me reprennent au souvenir des visions apportées par le souffle. Mes yeux effleurent mes poignets et les découvrent poisseux de sang. Je fixe, interdit, les gouttes carmin qui coulent sur un lent sillon. Me serais-je coupé sans m'en rendre compte ? Sur mes bras, les cicatrices, souvenirs des chiens de la Horde, sont refermées depuis longtemps. Pourtant, le liquide suinte de ces vieilles blessures. La tête me tourne un peu. Je porte la main à mon côté droit, à l'endroit où s'est enfoncée la dague de l'Hospitalier. La plaie ne s'est pas rouverte, malgré ma course effrénée et ma lutte contre les chasseurs. Je ne perçois qu'une douleur sourde qui me rappelle que j'ai trop forcé. Pourtant, mes doigts rencontrent une substance tiède et visqueuse. Ces visions qui m'ont assailli sous l'effet du souffle, était-ce un rêve ? Était-ce réel ?

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now