15. Nobles lignées (1/3)

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 Au matin, nous rejoignons la route pavée menant aux portes de Paris, sous un vent qui fait grincer les branches des arbres et claquer les toiles de nos carrioles. La circulation se densifie des charrettes de paysans, des coursiers à cheval et des convois de marchands.

Nous ne tardons pas à arriver en vue du fief du maréchal de France, le duc Anne de Montmorency [1]. Dressée sur un éperon rocheux, la bourgade fortifiée domine la vallée environnante de ses toits de tuiles rousses. Dans les champs alentour, blé et avoine illuminent ses murailles élancées de leur tapis doré. Cependant, à mesure que nous approchons, je me rends compte que les cultures sont plus clairsemées qu'elles ne devraient en cette saison. Même dans ces plaines fertiles, la nature souffre du mauvais temps.

Au bord de la chaussée, près des portes de la ville, Guy pointe un large bâtiment muni d'une étable.

— C'est un relais de coursiers. Ici, les chevaucheurs du roi peuvent trouver à toute heure des montures de rechange pour porter au plus vite les messages royaux. Sur les routes importantes, ces écuries sont installées toutes les sept lieues environ [2].

Le Français hèle notre chef de troupe :

— Fabrizio, pouvons-nous nous arrêter ici un instant ? Le tenancier est sûrement bien informé des dernières nouvelles de Paris. Sous couvert de lui acheter un peu de fourrage pour les mules, nous pourrons peut-être savoir si un attelage aux armes de Venise est récemment passé sur cette route.

Fabrizio tire sur les rênes et observe le relais avec une certaine méfiance. Les lieux paraissent plutôt calmes et tranquilles, aucun voyageur ne se presse à la porte. Seul un garçon d'écurie s'affaire autour des chevaux dans l'étable. L'Italien tiraille sa barbichette et acquiesce d'un hochement de tête.

— Très bien, allons nous renseigner. Je t'accompagne.

Il descend de sa carriole et nous donne ses consignes soulignées d'amples moulinets de bras.

— Pedro, Guillaume, venez avec nous ; vous porterez le fourrage. João, Heinrich, surveillez les chariots.

Dans la bâtisse, la grande salle de restauration paraît d'autant plus déserte qu'elle est taillée pour accueillir une importante compagnie. Le silence des lieux me confirme que les voyageurs ne courent pas les routes en ces temps troublés. Un homme d'une quarantaine d'années, les cheveux grisonnants et le teint hâlé, s'approche d'un pas avide en nous entendant entrer. Ses vêtements, sobres mais bien coupés, dénotent une aisance financière indéniable.

— Bienvenue au relais de poste royal, messieurs, accueille-t-il d'une voix affable. Que puis-je pour vous ? Je peux vous louer des montures rapides, si c'est ce que vous recherchez.

Fabrizio secoue la tête avec un air désolé et une courbette.

— Nous sommes simplement intéressés par un peu de fourrage pour nos mules.

L'aubergiste fronce le nez, sans doute déçu d'avoir affaire à des bouseux plutôt que de riches clients.

— Je peux vous vendre quelques ballots de foin, convient-il d'un ton plus cassant. Suivez-moi par ici. Combien vous en faut-il ?

Il nous conduit à l'écurie et appelle le garçon d'un signe impérieux.

— Vous êtes fort aimable, monsieur. Trois bottes devraient faire l'affaire, reprend Fabrizio, la voix dégoulinante de miel. Nous allons vers Paris. Quelles nouvelles de la capitale ?

Pendant que le palefrenier s'occupe d'attraper les ballots demandés, son maître se retourne avec un air pincé.

— Le roi est parti en guerre avec tous ses seigneurs. Il n'y a donc guère de passage en ce moment par ici. Le seul événement notable de ces derniers jours est un message du prévôt de Paris qui a circulé à grand bruit dans toute la campagne environnante. Il recherche une troupe de comédiens ambulants.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now