14. Unis pour une quête (2/3)

168 48 76
                                    

Ne sachant comment m'occuper avant le repas du soir, je retourne vers ma roulotte. Comme souvent dans mes moments de désœuvrement, ma main se tend vers ma rapière. Je la sors de son fourreau et fronce le nez devant la lame encroûtée de sel. Quelques taches de rouille ont même commencé à moucheter le fil. Si mon maître d'armes la voyait dans cet état, il me chaufferait sérieusement les oreilles ! J'attrape un chiffon, ma pierre à aiguiser et entreprends de lui redonner meilleure apparence.

Ces gestes routiniers permettent à mes pensées de vagabonder. Je songe à mon baptême du feu contre les moines chevaliers au fond de la crypte, mon tout premier combat. Cet épisode peu glorieux m'a bien démontré la différence entre mes leçons et un véritable affrontement. Que se passera-t-il la prochaine fois que nous devrons faire face au danger ? Oserai-je seulement dégainer mon arme en sachant à quel point je suis ridicule et lamentable ? Je passe un doigt songeur sur la fine gravure à la base de la lame ; ma résolution s'affermit. Je dois me montrer digne de ce qu'elle représente. Une idée me vient.

J'émerge de la roulotte au moment où Heinrich et Geiléis s'éloignent vers la forêt, bras dessus, bras dessous. Pedro bouchonne les mules un peu à l'écart. Assis près du repas qui mijote, João taille un morceau de bois d'un air concentré. Je m'approche d'un pas hésitant.

— João ?

Le Portugais lève un regard interrogateur. Il est en train de sculpter une petite barque de pêche.

— Euh... je ne veux pas te déranger si tu es occupé, mais... accepterais-tu de me donner quelques leçons d'escrime ? J'aurais bien demandé à Guy, ajouté-je dans une précipitation maladroite, mais Geiléis lui a recommandé d'attendre encore au moins une semaine avant de pratiquer des exercices un tant soit peu intenses. Du coup, il passe ses journées le nez plongé dans le vieux livre de saint Augustin.

João se lève sans hâte, met de côté couteau et morceau de bois. Il caresse sa moustache et ses lèvres se relèvent sur l'un de ses rares sourires.

— Entendu, jeune homme. Je veux bien me charger de ton éducation martiale. Mais tu vas me faire le plaisir de reposer cette rapière dans ta carriole. Nous allons commencer au bâton.

— Au bâton ? Mais...

Il interrompt mes protestations d'une main levée.

— Cela ne m'intéresse pas de savoir quelle connaissance tu penses avoir du maniement des armes. Nous allons reprendre les bases.

Quelques instants plus tard, munis de deux grosses branches fraîchement coupées dans la forêt, nous trouvons un emplacement dégagé pour ma première leçon.

— Allons, montre-moi ce que tu sais faire, demande-t-il. Touche-moi !

Je me mets en garde et tente quelques passes, mais João ne reste pas en place. Au lieu de parer mes attaques, il pivote autour de mon bâton et m'assène un coup dans les côtes. Je laisse échapper un grognement de douleur.

— Tu es mort ! Recommence.

Bien décidé à ne pas me laisser surprendre une seconde fois, j'observe ses mouvements avec plus de circonspection. J'esquisse une feinte de ma connaissance et fonce sur son flanc gauche. L'extrémité de son bâton me cueille de plein fouet au creux du ventre ; je tombe à genoux, le souffle coupé.

— Tu es mort encore ! constate-t-il. Tes yeux te trahissent, Guillaume. Ils me disent où tu vas frapper.

Nous continuons ainsi le temps de quelques défaites humiliantes, sans que jamais je parvienne à l'effleurer du bout de mon arme. João ne se montre pas tendre avec moi et je récolte une bonne série de contusions qui vont certainement me laisser perclus au matin. Le petit Portugais se déplace avec une rapidité déconcertante. Il me houspille sans cesse.

Le crépuscule des VeilleursOnde as histórias ganham vida. Descobre agora