30. Un funeste cadeau (2/3)

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Fabrizio se relève, frotte ses vêtements froissés et conclut de toute sa nouvelle résolution :

— Je vous aurais suivis jusque dans la tanière du dragon, mais nos chemins se séparent ici. Je vais prendre la route du col, celle dont parlait Guy au début. Je suis une menace pour vous. Giulia me connaît trop bien. Je crains qu'elle ne soit capable de percevoir confusément ma présence sur la Toile, comme une vibration familière. Peut-être pas sur de longues distances, seulement si nous sommes proches, mais elle m'a senti à Lyon, j'en suis certain.

Il me tend une feuille pliée, couverte d'une écriture hâtive.

— Tiens ! Tu donneras ceci aux autres. Je veux qu'ils sachent tout.

Je secoue la tête et tente de repousser sa main.

— Es-tu sûr ? Ils ne comprendront pas.

— Tu l'as dit toi-même, il ne doit pas y avoir de secret entre nous, insiste Fabrizio. Nous nous retrouverons à Venise. J'ai un ami là-bas. Il se nomme Tolomeo Monciatti. Tu le trouveras dans la calle del Gambaro, à deux pas du pont du Rialto. Giulia ignore tout de lui, je l'ai rencontré plus tard. Va le voir de ma part. Si tout se passe comme je l'espère, je vous rejoindrai chez lui.

Je prends le papier et hoche la tête.

— Je m'en souviendrai.

Il hésite encore un moment tandis qu'un vestige de chagrin assombrit son visage, puis fouille dans la bourse à sa ceinture et en sort une petite boîte à bijou que je reconnais immédiatement. Avec une dernière réticence, il me la tend.

— Je te laisse ceci, le cadeau empoisonné de Giulia. Cela me fait trop de mal de le conserver. J'aurais dû m'en débarrasser depuis longtemps, mais n'en ai pas eu le courage. Jette-le pour moi, s'il te plaît.

Un pressentiment me retourne les entrailles au moment où mes doigts se referment sur l'écrin de bois. J'acquiesce du menton, la gorge trop comprimée pour prononcer un seul mot. Fabrizio redresse les épaules comme si un poids venait de lui être retiré.

— Bonne chance, Aurore. J'ai confiance en toi, je te crois capable d'affronter un dragon, ajoute-t-il avec un hochement assuré. Tu as largement démontré que rien ne t'arrête quand tu t'es mis une idée en tête. Si Dieu le veut, nous nous retrouverons à Venise.

Je lui souris en retour.

— Partez tranquille. Ne traînez pas. Le soleil va se lever bientôt et il vaut mieux que vous soyez loin avant que les autres se réveillent. Je vais monter la garde.

Fabrizio s'éloigne et attrape la bride de la mule. Le chariot se met lentement en mouvement. Les roues grincent à peine.

Pedro reste seul, debout devant moi. Il a tout écouté, mais n'a rien dit. Lui aussi se fait sûrement du souci pour sa femme. Je m'approche et murmure à son oreille :

— Prends soin de Fabrizio pour moi, Pedro. Il en aura besoin.

L'Espagnol hoche la tête de toute sa fermeté indéfectible.

— Comptez sur moi, Mada... Aurore.

La roulotte s'éloigne sur la route tandis que le ciel pâlit à l'est. Debout, immobile, je la regarde disparaître derrière la butte.

Mes yeux glissent sur la boîte serrée entre mes doigts et je soulève le couvercle avec un nœud d'appréhension. Une odeur irritante me prend à la gorge. Ma main bondit à ma bouche pour retenir le cri qui me monte aux lèvres.

Sur un coussinet de tissu, comme sur un présentoir, reposent deux fines phalanges exsangues.

Je referme vivement l'écrin. Des coups sourds ébranlent ma poitrine. Un voile lumineux passe devant mes yeux. Je vacille. Je me force à respirer lentement, calmement, jusqu'à ce que mon cœur reprenne un rythme normal et que mon malaise s'estompe. Mes doigts se crispent sur la boîte comme pour la réduire en poussière.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now