Épilogue

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 La chape ténébreuse d'une nuit sans lune recouvre le palais endormi, en plein cœur de Jérusalem. Alim enfile l'allée du jardin où il est resté caché toute la journée ; les gravillons crissent à peine. Il lève la tête vers le balcon sous un voile d'étoiles. La fenêtre grande ouverte, invitante, laisse pénétrer un peu de la fraîcheur nocturne.

Dans le silence du destin en marche, il escalade la façade avec une souplesse féline. Ses doigts se glissent dans les fins interstices entre les blocs de pierre, puis sa main accroche la rambarde du balcon. D'un balancement, il se rétablit sur la plate-forme.

Il tend l'oreille, à l'affût d'un signe d'alerte. Aucun bruit ne retentit. À pas de léopard, il pénètre dans la chambre sans surveillance. Les gardes attendent dans le couloir, de l'autre côté de la porte. Dans le lit, le vieux guerrier dort profondément. Sa vigilance s'est émoussée avec le temps. Il n'est que justice qu'il paie pour le mal qu'il a semé.

Alim sort son jambiya ; l'arme glisse hors du fourreau sans même un chuintement. L'assassin n'éprouve aucune hésitation, aucun remords. La lame plonge dans le cœur du dormeur. La mort étouffe aussitôt le dernier sursaut du vieillard. Alim se redresse avec un sourire satisfait. Ibrahim Özkan n'est plus.

Et avec lui, s'éteint le dernier des sept.

*  *  *

Le pigeon picore les quelques graines déposées à son attention dans un tapotement un peu agaçant. Ennio relit pour la troisième fois le message qu'il vient de recevoir de son royal commanditaire et soupire. Puisque tels sont ses ordres, il n'a plus qu'à obéir. Le pauvre Giovanni Paolo Sforza ne profitera plus très longtemps de son duché de Milan [1]. Quelle idée aussi de s'emparer du titre de son demi-frère ! Francesco Sforza est mort sans héritier, c'est vrai. Mais ces terres intéressent des personnages bien plus haut placés. Giovanni aurait d'abord dû laisser Carlos d'Espagne et François de France en découdre entre eux.

C'est ce qui arrivera, maintenant, de toute façon, dès qu'Ennio aura exécuté ses ordres. Les guerres n'ont jamais de fin.

*  *  *

Assis à la table d'une auberge modeste, dans une des ruelles tortueuses de Venise, Philippe compte les dernières pièces de sa bourse, un goût amer à la bouche. L'argent qu'il avait sur lui dans le palais des Gandolfi touche à sa fin. Il va devoir trouver rapidement une solution.

Philippe enrage, resserre les poings. Tout allait si bien : la fortune, une jolie fiancée, la promesse d'une vie éternelle... Toute cette situation lamentable est la faute d'Aurore... et de ce Guy de Lorraine également, cet aventurier qui a osé mettre la main sur son père.

— Monsieur de Beaune ?

Il redresse la tête d'un mouvement vif. Un homme et une femme se tiennent devant lui, plutôt bien habillés pour le quartier. Un mince collier de barbe brune souligne le menton carré de l'aristocrate. La dame en élégante robe vert pâle porte ses cheveux châtains relevés en chignon. Philippe fronce les sourcils. Leurs visages lui paraissent familiers. Ne les a-t-il pas déjà vus quelque part ? Chez Madame de' Gandolfi, peut-être, lors d'une soirée ?

— Que me voulez-vous ? interroge-t-il avec méfiance.

— Pouvons-nous vous parler un instant ? Nous avons une proposition à vous faire.

Philippe hausse les épaules. Au point où il en est, il n'a rien à perdre. Il tend la main vers les sièges vides qui lui font face.

— Prenez place, je vous écoute.

*  *  *

Dans la petite maison de maître Biancolelli à Venise, Pedro arpente depuis des heures la maigre portion de couloir devant la chambre de sa femme. Il se gratte la barbe avec une nervosité croissante. Des cernes épais soulignent sa fatigue. Il n'a pas fermé l'œil de la nuit. Cette attente le rend malade !

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now