35. Plan de bataille (1/4)

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 Je vacille sous le choc. L'un de mes amis a cédé aux exigences de nos ennemis. Sous la menace, sans doute. J'imagine sans mal le marché odieux que Giulia a pu lui proposer. Ne me suis-je pas moi-même pliée au bon vouloir de cette tortionnaire ? J'ai joué les épouses dociles comme un pantin au bout de ses ficelles. Je serre les poings. Comment en sommes-nous arrivés là ? Toutes ces épreuves surmontées pour échouer si près du but et livrer à l'Ordre du nouvel éveil les secrets du grimoire !

Aiguillonnée de révolte, je tourne en rond dans ma chambre sous le ballet des images des jours précédents. Nos ennemis nous ont vaincus en nous séparant. Fabrizio et Pedro cheminent sur les routes italiennes frappées de la peste. Geiléis erre, sans argent, dans une ville inconnue. Mes compagnons croupissent enchaînés au fond d'un cachot. Je me morfonds, seule, dans cette chambre, au lieu d'agir.

Ensemble, nous pouvions compter les uns sur les autres, nous soutenir dans nos doutes. Les voix des rêves nous avaient réunis. L'union faisait notre force. Séparés, nous sommes vulnérables, affaiblis. Je m'arrête devant la fenêtre. Je dois retisser des liens entre nous, reconstruire ce que l'Ordre a brisé.

J'observe le patio fleuri et commence à esquisser un plan.

Le lendemain, en fin de journée, je guette au carreau. Dans le jardin en contrebas, les ombres s'allongent. Les promeneurs sortent profiter de la fraîcheur de la fontaine, des allées paisibles et du parfum des fleurs. Deux silhouettes déambulent le long du chemin central.

Je marche jusqu'à ma porte et frappe quelques coups décidés au battant. Hans m'ouvre. L'espace d'un battement de cils, je me demande où a disparu Niccolò depuis deux jours. Peu importe, c'est le frère de Heinrich qui m'intéresse aujourd'hui.

— Que voulez-vous ? questionne-t-il, sourcils froncés.

Je force le passage d'un pas, tête haute.

— Je vais me promener dans le jardin, réponds-je d'un ton assuré. J'ai besoin de prendre l'air.

Il écarquille les yeux et je profite de son incertitude pour me faufiler dans le couloir.

— Vous n'avez pas le droit de sortir !

Sans me préoccuper de sa remarque, je pars dans le corridor dans un froufrou de robe impérieux. Il court derrière moi et m'attrape rudement par le bras. Je me retourne avec une parfaite imitation du regard hautain de Giulia. Il me relâche d'un air gêné.

— Je suis bien sortie de cette chambre, pour le bal, pointé-je d'une voix détachée. Je suis officiellement la fiancée de Monsieur de Beaune, désormais. Je souhaite profiter de la fraîcheur du soir. Est-ce un crime ?

Mon cœur cogne dans ma poitrine. Mon coup de bluff va-t-il fonctionner ? Hans hésite avec une nervosité manifeste, mais n'esquisse pas de geste pour me ramener de force dans ma chambre. Prenant cela comme un assentiment, je poursuis ma marche déterminée vers l'escalier. Il m'emboîte le pas sans plus protester ; un premier sourire de victoire fleurit sur mes lèvres.

Les jardins offrent un havre agréable où se promener avec ses pensées vagabondes, bercé par un clapotis léger et les chants des oiseaux. Cependant, une tout autre intention m'amène ce soir. Mon regard balaie les allées encore relativement désertes à cette heure. Deux femmes discutent sur un banc, à l'écart. Je les ai observées avec attention depuis mon arrivée. Elles restent toujours ensemble et ne se mêlent jamais aux autres habitants du palais.

Je m'approche à pas mesurés. Une demoiselle, un peu plus jeune que moi, repousse sur ses épaules une cascade de cheveux noirs ondulés. La femme plus âgée en robe brune toute simple lui adresse un sourire attendri. Je crois savoir qui elles sont.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant