18. La prévenance d'une sœur (1/3)

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 Je lève les yeux sur une dame assez jeune, pas encore la trentaine, élégamment vêtue d'une robe de drap brun, brodée de rouge et d'or. Ses cheveux noirs ondulés cascadent sur ses épaules et encadrent son délicieux décolleté. Des boucles d'oreilles dorées rehaussent le teint mat de son visage délicat. Son regard sévère nous dévisage ; ses lèvres fines se plissent d'une moue suspicieuse.

Je cherche fébrilement une excuse pour expliquer notre intrusion malséante, lorsque ses yeux noirs s'écarquillent d'étonnement. Ses traits s'adoucissent d'un sourire ravi.

— João ? João, c'est bien toi ! Mas que prazer em ver-te ! [1]

La jeune femme nous rejoint en quelques pas sautillants, se jette au cou de mon compagnon et le serre dans ses bras avec une effusion sincère. João lui rend brièvement son étreinte, un peu gêné, pendant que je les regarde bouche bée. La marchande tourne vers moi un sourire chaleureux.

— Et qui est donc ce jeune homme ?

João se racle la gorge d'un air emprunté.

— Je te présente Guillaume, la dernière recrue en date de notre troupe. Guillaume, voici Carina, ma sœur.

Le temps d'un battement de cils, j'ai du mal à réconcilier l'image de João le taciturne avec celle d'un grand frère aimant, doté d'une sœur si démonstrative. Je tente de masquer ma surprise et m'incline dans un respect poli.

— Enchanté de faire votre connaissance, madame.

Carina rit de bon cœur devant mes manières.

— Quel galant homme ! Tout le plaisir est pour moi ! salue-t-elle d'une gracieuse révérence.

Puis, elle attrape João par la main et nous entraîne d'autorité vers l'arrière-boutique.

— Tu restes au moins déjeuner, n'est-ce pas ? Paulo ! Paulo ! Viens voir qui est là !

Attiré par ses cris, un homme brun d'une trentaine d'années, à peine plus grand que moi, entre dans la pièce et nous jette un regard circonspect. Ses cheveux mi-longs ondulent dans son cou à la dernière mode parisienne. Une petite moustache décore les traits un peu falots de son visage mat. Tout dans sa mise d'une élégance recherchée témoigne de son statut de bourgeois nanti. Il tend vers João une main aux doigts fins et mobiles, baguée d'un échantillon de sa boutique.

— Bien le bonjour, cher frère, accueille-t-il d'un sourire distant.

Mon compagnon serre la poignée offerte du bout des doigts et lui adresse une inclinaison de tête succincte.

— Je suis désolé de débarquer ainsi à l'improviste, répond-il d'une voix qui est tout sauf navrée. Je ne vais pas vous déranger longtemps. Je viens juste prendre quelques nouvelles.

— João et son ami déjeuneront avec nous, intervient Carina d'un ton qui n'admet pas de discussion. Je vais prévenir Flavia pour qu'elle mette deux couverts de plus.

Avant qu'aucun des deux hommes n'ait pu protester, la jeune femme s'éclipse en direction d'un escalier. Les deux beaux-frères s'observent en silence, raides comme des piquets isolés de part et d'autre d'un ravin infranchissable. De toute évidence, ils ne se vouent pas beaucoup d'affection. Leur mutisme me râpe les nerfs et je me plante devant une peinture accrochée au mur pour cacher ma gêne. Fort heureusement, Carina revient vite et nous entraîne dans la partie habitation, au premier étage, pendant que son mari reste garder la boutique.

Nous nous installons dans un petit salon cossu, tendu de draperies et de tapisseries. Je m'enfonce dans un fauteuil confortable avec un soupir d'aise et étends mes jambes fourbues.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now