39. L'or du roi (1/3)

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Cet instant de bonheur est bien trop bref.

Guy pousse un soupir, puis baisse son bras, comme à contrecœur. Son regard reste fixé sur l'horizon tandis que son front se plisse de fines rides soucieuses.

— Que se passe-t-il ? m'enquiers-je, saisie d'une brusque inquiétude.

— Je ne devrais pas t'encourager ainsi. Il vaut mieux que tu ne t'attaches pas trop à moi.

Mon cœur se serre.

— Mais pourquoi ? Je croyais...

Je ne termine pas ma phrase. Me serais-je trompé sur ses sentiments à mon égard ? Non, je sais ce que j'ai lu dans ses yeux le jour où nous nous sommes croisés devant le bureau de Marliano.

Il se tourne vers moi avec un sourire triste caché au coin des lèvres.

— Tu es une femme exceptionnelle, Aurore. Je n'en connais pas deux comme toi. Mais mon avenir est sombre. Tu mérites mieux que cela.

Sans me laisser le temps de m'insurger, il détourne la tête pour ne pas affronter mon regard de reproches.

— Maintenant que notre quête est terminée, je vais aller trouver mon souverain et je me placerai à sa merci. Jamais je ne pourrais supporter une vie de fuite et d'errance. Je suis chevalier, adoubé par la main même du roi. Je ne me déroberai pas à mon devoir. Autant affronter son courroux et m'en remettre à son jugement. Cependant, je n'attends aucune clémence de sa part – d'autant plus qu'il avait placé une grande confiance en moi.

Je comprends au ton résigné, mais ferme de sa voix que rien ne le fera changer d'avis.

Il balaie le toit d'un geste désabusé.

— Le grimoire a disparu. Je reviendrai les mains vides, sans rien pour racheter ma désobéissance.

Je lui prends le poignet et effleure le bandage autour de ses doigts avec une grimace peinée.

— Je suis désolée... pour ta main. C'est ma faute ! Si je n'avais pas...

Il interrompt mes balbutiements en relevant mon menton d'un geste doux et plonge dans mes prunelles.

— Ne pense pas cela un seul instant, ordonne-t-il de sa voix de commandement si sérieuse. Ceci est l'œuvre de Giulia. Tu avais parfaitement raison au sujet de la traduction, tu m'as ouvert les yeux. J'aurais pu supporter bien pire et la crainte de retourner le patriarche contre elle a limité les ardeurs de cette tortionnaire... pourtant, j'ai bien failli céder quand elle m'a emmené dans ta chambre, que je t'ai vue, si pâle et immobile...

Son regard se trouble de ressouvenir. Je serre ses doigts dans les miens pour chasser ces fantômes, les siens, les miens.

— Je vais bien. Elle ne m'a rien fait. Cette harpie avait besoin de moi pour obtenir l'or de Philippe et elle comptait me livrer au Grand Veneur, comme toi, en échange de sa propre vie.

Je croise ses yeux bleu-gris et sais dans mon âme que rien ne pourra me séparer de lui, désormais. Certainement pas une stupide histoire d'honneur de chevalier !

— Je te suivrai où que tu ailles. Mon destin sera le tien. Je dois, moi aussi, rejoindre l'armée du roi pour retrouver mon père, lui demander pardon pour le mal que je lui ai fait...

Je prends une profonde inspiration et conclus avec plus de force :

— Nous irons voir François ensemble ! Je lui expliquerai tout !

Ma fougue parvient à lui arracher un vrai sourire.

— Je n'en doute pas un seul instant, mais ne dois-tu pas épouser Philippe de Beaune à la demande du roi ? C'est toi-même qui nous l'a avoué, c'est ce que m'a réaffirmé Giulia en se gaussant.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant